Procès de Bure : une ouverture très politique
Premier jour du procès des sept opposant·e·s au centre d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo, premier coup d’éclat : prévenu·es et avocat·es ont fait usage de leur droit à manifester. L’audience a été écourtée.
À 9 heures, mardi 1er juin, le procès des sept militant·es de Bure démarre normalement au tribunal de grande instance de Bar-le-Duc. À l’extérieur, les soutiens terminent leur gym matinale et enchaînent avec leur propre procès : celui de Cigéo, le centre d’enfouissement des déchets nucléaires implanté à Bure.
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Dans la petite salle d’audience, restreinte à 40 personnes à cause des règles sanitaires, le calme règne. Sylvain Roux, président de l’audience, appelle à la « sérénité des débats » et prévient d’emblée : « Il ne s’agit ni d’une salle de spectacle ni d’une tribune politique. Je n’hésiterai à aucun moment à faire procéder à l’expulsion de la salle des éventuels éléments perturbateurs. » Tout le monde le sait : ce procès sera scruté tant la dimension politique est indéniable.
Les sept prévenu.es identifié·es et ciblé·es par l’instruction judiciaire ouverte en 2017 comme opposant·es clés au projet Cigéo sont poursuivi·es pour de nombreux motifs : dégradation et vol en réunion, organisation d’une manifestation non déclarée, attroupement après sommation de dispersion, détention de substances ou d’engins incendiaires, parfois pour violences. Mais surtout pour association de malfaiteurs.
Initialement, l’enquête se concentrait sur trois événements de l’année 2017 : la dégradation de l’écothèque de l’Agence nationale des déchets radioactifs (Andra) à Bure en février ; une tentative d’incendie de l’hôtel-restaurant Le Bindeuil implanté sur le site du laboratoire ; une manifestation non déclarée le 15 août qui s’est terminée en affrontements entre opposants et gendarmes. Or, malgré l’arsenal déployé pour cette enquête de surveillance, personne n’a pu être identifié pour les deux premiers. _« Nos clients encourent dix ans de prison, ce qui est très lourd et grave du point de vue de la loi. Les faits retenus in fine tournent autour d’une manifestation, celle du 15 août 2017. Après trois ans d’instruction, on se retrouve avec un procès pour juger ce qui s’est passé ou pas au cours de cette manifestation et en amont. Nous attendons donc que l’accusation d’association de malfaiteurs vole en éclats parce qu’elle ne tient pas. Ce n’est qu’un moyen de nuire à la lutte politique que mènent les opposants ici », a déclaré Me Kempf, l’un des avocats du collectif. Preuve ultime que le dossier perd en épaisseur : l’Andra, qui gère Cigéo, s’est désistée et n’est plus partie civile du procès…
La lecture des 180 pages de l’ordonnance de renvoi montre surtout les moyens démesurés accordés à la cellule spéciale de la gendarmerie pour surveiller toute la lutte anti-Bure. Le véritable objectif de l’enquête apparaît : trouver qui dirige, donne les ordres, organise… Et d’esquisser la hiérarchie de la maison de résistance à Bure. Assez ubuesque quand on connaît le milieu militant, mais déterminant pour la défense, qui veut enfin démontrer que l’État a voulu réprimer toute la lutte anti-Bure, et donc toute la lutte antinucléaire.
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Dix heures. La défense réveille déjà la salle en formulant une requête inhabituelle : que la pause méridienne soit prolongée jusqu’à 16 heures afin que leurs client·es puissent participer au cortège festif de l’après-midi car « le nucléaire est une chose suffisamment grave et importante pour justifier la participation à ce défilé ». « Nous ne sommes pas là pour parler de nucléaire ni émettre d’avis sur Cigéo mais pour un débat juridique », rétorque le procureur Sofian Saboulard. « Notre solution avait le mérite de laisser la politique s’exprimer dehors. Là, peut-être qu’elle s’exprimera à l’intérieur de la salle…», conclut l’un des avocats.
Les sept sont assis·es côte à côte, se serrent les coudes au sens propre et figuré. Certain·es arborent sur leurs vêtements des touches de violet, qui sera la couleur de la manifestation. L’une détonne dans sa robe à sequins, brillante et lumineuse. Avant les débats, quasiment toutes et tous décident de faire une déclaration souvent très personnelle et engagée. Se ressent alors leur besoin de clamer ce lien de solidarité qui lie tous les camarades de lutte, de raconter leur attachement profond au territoire meusien, de rappeler à quel point le combat contre le nucléaire est vital et de dénoncer l’acharnement policier et judiciaire subi depuis quatre ans.
F. raconte être arrivé à Bure un jour de chantier pour construire un escalier. Au fil des jours, il s’est informé à propos de ce projet démentiel censé n’être qu’un laboratoire de recherche mais ressemblant fortement à un vrai centre de stockage souterrain en construction. « Il a fallu vingt-cinq ans pour que je me questionne sur les déchets nucléaires, alors que je suis fils et petit-fils d’agents EDF… », glisse-t-il avant de demander spontanément s’il est possible d’éteindre les lumières dans cette grande salle bien ensoleillée. Le président acquiesce. Une (petite) victoire.
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Maniant habilement les mots, J. interroge avec pertinence tous les non-dits de cette enquête. « À la lecture des 180 pages de l’instruction, j’en ai eu les larmes aux yeux. Des milliers de souvenirs se sont bousculés pour resituer ces faits dans un contexte tellement plus complexe, avec des visages tellement plus nombreux que les sept qui vous dévisagent aujourd’hui depuis le banc des acccusés… À travers ce procès, notre procès et ceux de toutes les autres associations de malfaiteurs (référence aux gilets jaunes), serez-vous les acteurs de la généralisation et l’extension de dispositifs judiciaires qui instituent progressivement une justice préventive et le délit d’intention ? »
A. n’a pas pu s’empêcher de rendre hommage aux forêts à défendre, et au bois Lejuc pour lequel tant d’entre eux ont bataillé : « Tels des arbres nous sommes reliés et nous tenons debout face à la répression politique, policière, et judiciaire. Nous sommes portés par une autre forêt… Nous l’avons protégée par nos corps, nos mots, nos cris, nos amitiés. Nous y avons été poursuivi·es, chassé·es, blessé·es, interdit·es. Mais elle vit toujours en nous. »
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Des mots sincères qui seront leur seule prise de parole : toutes et tous ont refusé de répondre aux questions les jours suivants. « Si je me présente ici devant ce tribunal, c’est pour ne pas poser un lapin à toutes les personnes qui nous soutiennent. Je n’attends rien de votre justice, je ne reconnais pas votre autorité à me juger, s’exclame K. Je n’ai pas envie d’assister à cette pièce de théâtre alors que dehors, c’est joyeux ! »
Un souhait devenu réalité. À 14 heures, la salle reste quasiment vide. Les prévenu.e.s et cinq de leurs avocats ont rejoint le cortège festif déambulant dans les rues de Bar-le-Duc. À la fin de la lecture de l’ordonnance, le juge est décontenancé : il ne peut lancer les interrogatoires face à un banc des accusés déserté.
« On prend tout de même en otage votre juridiction alors que vous êtes très à l’écoute de la défense depuis ce matin, s’agace le procureur. Je ne suis pas en manifestation, je suis présent pour assurer le contradictoire ! » « Nous sommes présents aussi, à la disposition du tribunal, et personne ne demande une suspension de l’audience ! », rétorquent les deux avocats présents dans la salle. Le président décide finalement de suspendre l’audience jusqu’au lendemain matin. Un coup de théâtre vivement applaudi par les soutiens à l’extérieur, qui ne cessent de clamer la relaxe de leurs sept camarades. L’accusation d’« associations de malfaiteurs » voulait faire mal à la lutte. Elle y est parvenue dans un sens. Mais ce procès permet aussi de resserrer les liens entre antinucléaires.
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