Quand la gauche a lâché l’école publique
Longtemps socle commun à toute la gauche, la défense de l’éducation gratuite et laïque pour tous a été mise à mal par la reculade historique de François Mitterrand sur la loi Savary, en 1984.
dans l’hebdo N° 1657 Acheter ce numéro
Dans son ouvrage autobiographique, Mes lignes de démarcation (Syllepse, 2003), l’historienne et militante pédagogique Suzanne Citron relate sa déception lorsque, sous la pression de la droite conservatrice, le gouvernement abandonne en 1984 le projet d’un service public unifié et laïque de l’Éducation nationale. Elle en déchire sa carte du Parti socialiste et ne la reprendra plus jamais. Plus récemment, la décision prise par Jean-Michel Blanquer de renforcer le contrôle de l’instruction en famille et du hors-contrat a aussi provoqué un tollé, mais pas seulement à droite cette fois, aussi chez quelques militants de gauche qui, défenseurs des écoles alternatives, et très remontés contre une école publique qu’ils estiment toxique pour leurs enfants, ont crié à l’ingérence liberticide. Le temps semble loin où la défense de l’école publique contre la mainmise du privé constituait l’un des socles inamovibles de la gauche de gouvernement comme de la gauche plus radicale.
Un socialiste en Amérique
Léon Chautard, comptable socialiste, s’est battu en 1848 pour l’émancipation et l’égalité. Arrêté après la révolte de juin pour le droit au travail et la démocratie sociale, il connaît les prisons puis le bagne. Refusant les grâces que lui offre Napoléon III, à qui il ne veut rien devoir, il parvient à s’échapper. Le voici qui arrive aux États-Unis, où il rencontre les milieux socialistes et abolitionnistes, et publie le roman picaresque et politique de son évasion. Son récit, exhumé, est publié par Michaël Roy, fin connaisseur de l’histoire de l’esclavage et de ses abolitions. Ce livre, objet magnifique, nous permet de découvrir la trajectoire et la voix d’un de ces trop nombreux oubliés de l’histoire, mais aussi l’importance des liens et des connexions entre socialistes et abolitionnistes des deux côtés de l’Atlantique.
M. L. et L. D. C.
Léon Chautard. Un socialiste en Amérique, 1812-1890, Michaël Roy, Anamosa, 256 pages, 21 euros.
Naturellement, comme la plupart des fois où la gauche de gouvernement a fait le choix du plus petit dénominateur commun pour ne froisser personne, la proposition provoque quand même un scandale à droite. Exit les deux années de discussion et de compromis, et place aux manifestations unitaires entre droite et extrême droite. Les troupes « pour la défense de l’école libre » sont au taquet à Paris comme ailleurs. Le 24 juin 1984, ils sont entre un et deux millions à converger vers la place de la Bastille, piétinant le symbole révolutionnaire aux cris de « À pays libre, école libre » et brandissant leurs banderoles aux noms d’écoles confessionnelles. Face à cette fronde réactionnaire, Mitterrand, sans prévenir son ministre, annonce le 12 juillet qu’il retire le projet. Une reculade historique, la première d’une longue série. Plus grave, cette démission de la gauche a laissé s’installer une extrême confusion autour de l’école privée, dont le contrôle est d’emblée considéré comme liberticide, alors que la fonction régulatrice de l’État et de l’argent public, dans l’école comme ailleurs, est l’une des conditions de l’égalité et de la démocratisation.
Compenser l’hégémonie pesante d’une histoire « roman national » dans l’espace public, y compris médiatique ? On s’y emploie ici.
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