RATP / CNews : Métro boulot facho
CNews, la chaîne de Pascal Praud, Éric Zemmour et consorts, bénéficie d’un étrange partenariat avec la RATP.
dans l’hebdo N° 1659 Acheter ce numéro
Installée à son bureau, Mélanie se rend sur le site de la RATP pour organiser son trajet vers un rendez-vous professionnel. Elle clique sur l’onglet « Itinéraire » et déroule le fil de la page. À son grand étonnement, elle tombe sur un étrange bouton nommé « Découvrez CNews ». Intégré parmi les différents services de la RATP (plan, horaires, billets), il figure sous le titre générique « Pour vous déplacer en toute sérénité ».
Questions sans réponses
Même si elle n’est pas une habituée de la chaîne, ni même du journal gratuit du même nom, Mélanie est parfaitement consciente que CNews est le média roi du clash, de la banalisation du racisme, de la xénophobie, des discours de haine, climatosceptiques, sexistes, etc. « Découvrir CNews » pour se déplacer « en toute sérénité », la proposition est presque obscène. Un clic sur le bouton aboutit à une page où cohabitent les logos de la RATP et de la chaîne, et vantant le groupe média de Vincent Bolloré. Et le même lien existe sur l’application mobile.
Interrogée par Politis, la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) découvre cette publication et se dit « scotchée, choquée par ce mélange des genres » entre « promotion d’un média et services de transport ». Questionnée à son tour, la RATP nous répond d’abord par e-mail que « la société Matin plus, éditeur du journal CNews, bénéficie d’un contrat commercial pluriannuel avec la RATP, lui permettant de mettre à disposition ses journaux sur certains points du métro ». Et indique « mener régulièrement des partenariats avec des entreprises de médias », en insistant sur le précédent d’« À nous Paris, qui diffusait ses journaux dans le métro et avait une présence sur le site ». Bref, il s’agirait d’un « traitement classique de partenariat commercial ».
Pourtant, rien n’indique vraiment qu’il s’agit d’un « partenariat commercial », d’autant que le site ne comporte par ailleurs aucune publicité. Car tout, dans l’habillage graphique, présente CNews comme un service de la RATP, dont il serait en quelque sorte le média officiel. Sous l’intitulé « CNews, l’information à chaque instant », le groupe est vanté dans ses différents aspects avec la signalétique de la ligne de métro (une ligne avec des points). Le dispositif laisse entendre, comme l’indiquent les deux logos superposés, que la page est une coréalisation de la RATP et de CNews. De surcroît, le texte ne fait pas que promouvoir le journal gratuit distribué dans le métro, mais tout le groupe, dont son phare, la chaîne télé où officient Praud, Zemmour et consorts…
Depuis fin avril, Politis a relancé à une dizaine de reprises la RATP afin d’obtenir des réponses à ses questions : comment cette contrepartie de visibilité est-elle décrite dans le contrat ? Les termes du contrat dictent-ils que CNews soit assimilé à un service RATP sur son site ? Le texte de la page CNews, qui vante une « chaîne d’information en affinité avec les urbains et individus CSP++ », a-t-il été soumis à l’approbation de la RATP ? Si oui, pourquoi l’avoir approuvé, en excluant de fait les autres catégories socioprofessionnelles de la population, pourtant elles aussi, sinon davantage, utilisatrices des services de transport de la RATP ? Si non, comment justifier que ce message soit banalisé sous le logo RATP ? Le contrat conclu entre la RATP et le média comporte-t-il des échanges financiers ? Est-il défendable qu’un service public tel que la RATP soit partenaire d’un tel média ?
Malgré plusieurs relances depuis le début du mois de mai, ces questions sont restées sans réponse. Ou presque. Car, parmi les différentes questions posées, Politis ironisait en demandant à la RATP si elle défendait « qu’il faille “découvrir CNews” pour “voyager en toute sérénité” ? » Depuis, nous avons constaté que le bouton CNews apparaît désormais dans une nouvelle barre d’affichage, intitulée plus sobrement « Découvrir »… Et dans sa dernière réponse, copié-collé des précédentes, le service de communication de la régie ajoutait pour sa défense que le contrat « s’achève prochainement », sans pour autant préciser de date.
Pour Thomas Bourgenot, porte-parole de -l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP), le format de cette collaboration reste surprenant. « C’est bien la première fois que je vois ce type de partenariat RATP », relève-t-il. L’expert de la lutte contre les campagnes publicitaires énumère les différents points mis en avant par la régie de transports : la première chaîne d’information en affinité avec les urbains et les individus de catégorie socio-professionnelle supérieure, des rendez-vous quotidiens et hebdomadaires appréciés des lecteurs, la puissance et l’exclusivité au sein des réseaux RATP… Pour lui, il n’y a pas de doute, l’objectif est de faire la promotion du média. « Il s’agit clairement de viser des annonceurs, tels Renault ou Rolex, souhaitant toucher des CSP++. Ce type de partenariat est problématique, car la RATP vend ses usagers à des annonceurs pour CNews. »
Syndicats surpris
Contactés par Politis, des membres des syndicats de la RATP (CGT et CGC) ont tous découvert à cette occasion ce partenariat et restent étonnés par l’intégration d’un média parmi les services de la régie.
Depuis que ce contrat a été conclu en 2019, CNews a considérablement viré à droite, c’est le moins qu’on puisse dire. Difficile de croire que la RATP ignore la ligne éditoriale de CNews, porte-voix des idées de l’extrême droite française et dont l’émission phare est coanimée par un récidiviste multicondamné pour provocation à la haine et à la discrimination raciale. Le Conseil d’État a d’ailleurs rejeté, le 16 juin, le recours de la chaîne d’information contre une mise en demeure du Conseil supérieur de l’audio-visuel (CSA), qui lui demandait de respecter ses obligations, notamment en matière de vigilance vis-à-vis de l’incitation à la haine et à la violence, après des propos tenus par Éric Zemmour. Il s’était déclaré, dans l’émission « Face à l’info » du 23 octobre 2019, « du côté » du général Bugeaud, qui, lorsqu’il « arrive en Algérie, […] commence à massacrer les musulmans et même certains juifs ».
Société de transport à caractère public, la RATP a une mission d’intérêt général. Régie, comme tout service public, par les principes des « lois de Rolland », elle doit respecter le principe de neutralité politique. David Belliard, adjoint (EELV) à la maire de Paris chargé des mobilités et des transports, est catégorique : « La RATP n’a pas à avoir des partenariats commerciaux quels qu’ils soient avec une chaîne qui ne respecte pas les règles du débat public national, en sous-estimant le temps de parole des candidats de partis de gauche et écologistes, notamment, et en survalorisant la parole des représentants du Rassemblement national, et qui continue à donner la parole à des éditorialistes condamnés pour propos racistes. Nous sommes très loin des valeurs qui doivent être défendues par la RATP. »
Le 9 juin, en effet, le CSA mettait en demeure CNews pour non-respect du pluralisme politique. En cause, un temps de parole non déclaré à l’autorité de régulation de l’audiovisuel, celui de Philippe Ballard. Tête de liste RN pour les régionales à Paris, le candidat a été invité « à neuf reprises » entre le 10 et le 28 mai, cumulant, selon le CSA, un temps de parole d’une heure. De son côté, la chaîne « n’a déclaré que 7 minutes » de temps de parole concernant la liste du RN pour les élections régionales, indique le CSA. Dans le même temps, Libération a révélé, le 14 juin, que « 36 % des invités politiques de CNews sont d’extrême droite », soit plus du tiers de ses invités sur une période d’un an.
À moins d’imaginer que toute la direction de la RATP soit sympathisante de l’extrême droite, on peut aisément penser qu’elle est embarrassée par ce contrat qui la lie à un média devenu infréquentable. Mais son silence à nos questions ne laisse pas d’interroger : quels intérêts supérieurs l’empêchent de se désolidariser de la ligne éditoriale de ce groupe média, voire de dénoncer un contrat qui choque s’agissant d’un service public ? Car un tel silence peut donner à penser qu’elle cautionne la ligne éditoriale de CNews. Les dizaines de milliers d’étrangers et d’immigrés, et tous leurs défenseurs, vilipendés à longueur de journée sur l’antenne de CNews, sont heureux de savoir que ce patronage leur garantit de « voyager en toute sérénité »….