Van Morrison : Une intensité farouche

À 76 ans, bien entouré et mû par une belle énergie, Van Morrison livre un double album plein à craquer de chansons ciselées et irrésistibles.

Jacques Vincent  • 2 juin 2021 abonné·es
Van Morrison : Une intensité farouche
Van Morrison, l’une des plus grandes voix de l’histoire du rock.
© Bradley Quinn Europa

A rrête de râler / Fais quelque chose », chante aujourd’hui Van Morrison sur ce rythme unique inventé il y a longtemps par Bo Diddley et qui a marqué le rock à jamais. Le morceau s’intitule « Stop Bitching, Do Something » et, connaissant le caractère grincheux du bonhomme, on ne peut s’empêcher de sourire et de se demander si l’injonction ne lui est pas directement adressée. En tout cas, si faire quelque chose signifiait écrire des chansons, c’est plutôt réussi. Ce nouvel album en contient vingt-huit et, comme elles tournent la plupart autour des cinq minutes, il faut deux CD pour les ranger. Peut-être même a-t-il fallu en laisser de côté, puisqu’il est précisé qu’il s’agit du « Volume 1 » de Latest Record Project, laissant augurer d’une suite que l’intéressé annonçait pour la fin de l’année dans une récente interview à la BBC. L’arrêt forcé des tournées n’y est sans doute pas pour rien, mais il faut reconnaître que Van Morrison n’a jamais été du genre paresseux ni de ces artistes qui avec le temps espacent les productions. Chez lui, c’est à peu près un album tous les deux ans. De quoi le prendre au pied de la lettre quand il chante sur « Thank God For The Blues » : « Je chante parce que je suis là pour ça. » Un peu comme Dylan toujours sur la route, qui, quand on lui en demande la raison, répond simplement : « Je n’y peux rien, j’ai ça dans le sang. » Les deux hommes ont d’ailleurs plus d’un point commun et ce n’est pas un morceau comme « A Few Bars Early » qui le démentira.

Ce disque semble avoir été enregistré en une seule prise tellement tout semble fluide, limpide, une musique chaude qui circule comme le sang dans les veines. Musicalement, il puise dans la bande-son historique de l’Amérique, blues, rock, rythm’n’blues, country, avec toutes les nuances de ces musiques suivant leur territoire d’origine. Van Morrison y est comme chez lui depuis toujours. Et, bien sûr, il est entouré d’une bande de musiciens qui, avec autant de classe que de savoir-faire, les jouent avec ce genre de perfection qui fait que ce n’est pas la perfection qui s’entend, mais la vie. Les rythmiques sont tirées au cordeau ; l’orgue mijote tout du long en bouillonnements plus ou moins doux ; un harmonica ou un saxophone, tenus comme il se doit par Van Morrison, viennent parfois ajouter un souffle ardent comme une griffe ; et les chœurs apportent une joie pure. Avec un tel soutien, Van Morrison n’a plus qu’à poser sa voix, l’une des plus grandes voix de l’histoire du rock. Le miracle, alors qu’il va bientôt fêter ses 76 ans, est qu’elle n’a rien perdu de son intensité farouche.

Et les chansons semblent venir d’elles-mêmes, s’enchaîner comme s’enchaînent les pensées qui traversent l’esprit sans que l’on s’y arrête. Dans l’une d’entre elles, « Double Bind », il emprunte à son homonyme Jim Morrison, un vers de « The End » : « Des scènes bizarres dans la mine d’or », la mine d’or devenant ici mine de diamant. Dans une autre, il se souvient de ces concerts au Whisky a Go Go en juin 1968, où les Doors du même Jim Morrison jouaient en première partie des Them de Van Morrison.

Mais, et même s’il invite deux collègues de ses débuts, Chris Farlowe et P. J. Proby, chacun sur un titre, le propos de ce disque est loin d’être uniquement tourné vers le passé. En témoignent des chansons comme « Where Have All The Rebels Gone » (« Étaient-ils réellement aussi durs / Ou n’était-ce qu’un coup de pub ? »), « They Own The Media » (« Ils nous disent que l’ignorance est une bénédiction / Je suppose que c’est le cas pour ceux qui possèdent les médias ») ou « Why Are You On Facebook ? » (« Tu as raté ton quart d’heure de célébrité / Tu n’as aucune honte / Ou est-ce un genre de jeu tordu ? »). Et puis il y a ces compositions magiques comme « Duper’s Delight » dont la puissance émotionnelle est telle qu’elles renvoient aux plus grandes heures de l’Irlandais bougon.

Vingt-huit morceaux et, le dernier à peine terminé, l’envie irrésistible de reprendre au début. C’est le tour de force de ce disque chaleureux et consolateur.

Latest Record Project, Volume 1, Van Morrison, BMG.

Musique
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