Avignon off : À corps ouvert
Pour aborder sur scène la question du nu artistique, le metteur en scène David Gauchard fait appel au sociologue Arnaud Alessandrin.
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Elles et ils ont 32, 43, 22 ou 75 ans. L’une est coordinatrice culturelle, l’autre comédien, une autre encore fut auteure–compositrice, plusieurs sont plasticiens… Certains vivent entièrement du métier sur lequel le metteur en scène David Gauchard et sa collaboratrice, Léonore Chaix, les ont interrogés : celui de modèle vivant. Pour la création du spectacle Nu, tous les deux ont réalisé une enquête selon une méthode mise au point avec le sociologue Arnaud Alessandrin. Ils ont mené des entretiens avec une cinquantaine de modèles de profils divers. Ils les ont enregistrés puis ont effectué un tri pour n’en garder qu’une dizaine, qui constituent la matière première de la pièce. Son corps, avec autant de forces que de fragilités. Avec ses audaces et ses pudeurs.
Riches, souvent inattendues, ces paroles font davantage que dessiner les contours d’une profession méconnue : elles questionnent la place de la nudité dans notre société. Elles disent que la liberté n’a pas forcément la forme qu’on attend, que si elle peut se loger dans le mouvement, dans le voyage, elle peut aussi le faire dans l’immobilité. Les comédiens Emmanuelle Hiron et Alexandre Le Nours sont entre les deux : passeurs des témoignages, ils leur donnent vie sans incarner celles et ceux qui les ont formulés. Assis la plupart du temps, ils restituent les mots des modèles, qui leur arrivent par casque. Ils en suivent le rythme, l’intonation, et y ajoutent quelques gestes. Juste ce qu’il faut pour donner vie à des pensées vives, en action.
En ne cherchant pas à dissimuler ce dispositif – ce qui est souvent le cas au cinéma –, David Gauchard présente en quelque sorte son théâtre dans son plus simple appareil. S’il ne met pas ses comédiens à nu au sens propre, il leur impose de n’utiliser que le minimum de techniques vitales au théâtre. Leurs hésitations, leurs doutes, font ainsi parfaitement écho à ceux des modèles, qui semblent souvent découvrir leurs pensées en les exprimant. Elles sont très diverses et d’autant plus passionnantes que, comme l’explique le sociologue embarqué dans l’aventure, « le “nu” n’a jamais été investigué par la sociologie des professions, sinon peut-être du côté de la pornographie ».
En partageant en toute simplicité les récits récoltés par David Gauchard, les comédiens nous font découvrir un univers beaucoup plus complexe que ce à quoi il est trop souvent réduit. Les modèles, au fond, n’ont pas de modèle. Artistiques, intimes, sociales ou encore politiques, leurs motivations à poser nus sont multiples, mais toujours solides. Suffisamment pour résister à la précarité financière, due à un manque de reconnaissance, voire à une forme de mépris.
Avignon Off. Nu. Du 16 au 25 juillet à 12 h 05, relâche le 19, à La Manufacture, 2, rue des Écoles, Avignon, 04 90 85 12 71.
Et aussi…
Éloïse et la mousson
Avec sa Compagnie Microscopique, Éloïse Mercier n’a pas attendu d’être assignée à résidence pour apprendre à voyager autour de sa chambre. Dans Une goutte d’eau dans un nuage, il lui suffit pour cela de quelques bibelots kitsch au milieu d’un élégant décor d’intérieur un peu suranné. Quelques néons fluo, un scooter miniature rose vissé sur un pick-up, et nous voilà à Saïgon, en pleine mousson d’été. Derrière un micro, la comédienne raconte d’une voix profonde, sensuelle, le voyage au Vietnam d’une jeune femme française qui lui ressemble. Mêlé à un subtil montage sonore réalisé par Vincent Bérenger, son récit durassien – influence pleinement assumée – explore les secrets de la ville. Il dit la liberté possible, en haut des tours.
Une goutte d’eau dans un nuage, Théâtre Transversal, 10, rue d’Amphoux, du 7 au 31 juillet à 19 h 15, 04 90 86 17 12.
Une jeunesse en hiver
Dans Home, de Magrit Coulon, sous-titré Morceaux de nature en ruine, il ne se passe presque rien. Mais c’est déjà beaucoup. Située dans la salle commune d’une maison de retraite, cette première pièce de l’artiste belge donne à voir le quotidien de résidents à travers une succession de tableaux portés par trois jeunes comédiens. À commencer par une marche en déambulateur aux allures de traversée du désert. Nourries par une résidence des artistes dans un établissement bruxellois, ces scènes ne font pas que documenter la réalité des Ehpad : elles l’expérimentent, par les moyens du théâtre, non sans joie.
Home, Théâtre des Doms, 1 bis, rue des Escaliers-Sainte-Anne, du 5 au 27 juillet, 04 90 14 07 99.
Mexique en transe
Formé par le comédien Alexandre Pallu et les musiciens Flavien Ramel et Guillaume Rouillard, le groupe Texcoko a voyagé au Mexique par des livres de toutes sortes. À commencer par Pierre de soleil, d’Octavio Paz (1914-1998), qui ouvre leur traversée fantasmée sous « un saule de cristal, un peuplier d’eau, un haut jet d’eau arqué par le vent ». Dans une transe verbale et musicale proche de la performance, les trois complices poursuivent leur voyage immobile avec Juan Rulfo, météorite de la littérature mexicaine, dont un recueil de nouvelles, Le Llano en flammes, et le roman Pedro Páramo ont suffi à faire de lui une figure majeure. Ils font un détour par le roi et poète aztèque Nezahualcoyotl, né au XVe siècle dans la ville de Texcoco, située dans la vallée de Mexico… Et dans bien des écritures encore, d’hier et d’aujourd’hui.
Mexica, Théâtre du Train bleu, 40, rue Paul-Saïn, les 13, 20 et 27 juillet à 23 heures, 04 90 82 39 06.