Des bons polars (part two)
Un William Boyle au meilleur de son talent et un Thomas Mullen qui nous parle de notre époque autant que des années 1950.
dans l’hebdo N° 1663-1667 Acheter ce numéro
Commençons, avec un (tout petit) peu de retard, par un livre paru l’été dernier, L’amitié est un cadeau à se faire (1), dont la lecture en est un autre (2). Son auteur, William Boyle, ici au meilleur de son talent, est né et a grandi à Brooklyn, où se rencontrent les magnifiques héroïnes de ce polar étourdissant – soit, dans leur ordre d’apparition : la veuve d’un mafieux, une ex-star du porno et une ado de compète, petite-fille de la première. Leur cavale, lorsqu’elles doivent fuir Bensonhurst lestées d’un lourd magot et de poursuivants quelque peu tendus, est si formidable de drôlerie (3) et d’humanité, et si évidemment cinématographique, qu’on se prend à rêver qu’elle vienne sous les yeux – au hasard – d’une Frances McDormand (4).
Thomas Mullen, lui, a continué, après le bouleversant Darktown (5), qui en était le premier tome, à dérouler son extraordinaire saga romancée, dans l’Amérique ségréguée des années 1950, des premiers policiers noirs d’Atlanta, Géorgie. En les confrontant d’abord, dans Temps noirs (6), au Ku Klux Klan des masques pointus et à une organisation nazie. (Toute ressemblance…) Puis en s’attachant plus particulièrement, dans Minuit à Atlanta (7), nouveau chef-d’œuvre qui a pour toile de fond le maccarthysme et le renouveau du mouvement pour les droits civiques, au personnage de l’ex-agent Tommy Smith, qui a – attention spoiler – quitté la police et travaille désormais pour l’Atlanta Daily Times, plus vieux journal afro-américain de la capitale sudiste. Le patron de cette vénérable publication est assassiné, et Smith, durant son enquête, va se trouver confronté, dans un moment où « les Blancs se prépar[ent] de nouveau à faire main basse sur des rues entières, le tout orchestré sans effusion de sang par des hommes portant costume plutôt que masque pointu, mais tout aussi destructeurs », en même temps qu’à ses anciens collègues, à la corruption, au cynisme, à la haine et à la lâcheté – comme si, une fois de plus, Mullen nous parlait, autant que du mitan raciste du siècle dernier, de notre inquiétante époque.
Bonne lecture et très, très bon été à tou·tes.
(1) Traduit de l’anglais (États-Unis) par Simon Baril, Gallmeister, 384 pages, 23,80 euros. L’édition de poche sera disponible chez le même éditeur le 2 septembre, pour la plus modique somme de 11,20 euros – et en même temps que le nouveau roman de William Boyle.
(2) De cadeau à se faire. (Faut vraiment tout t’expliquer, hmmm ?)
(3) « On se perd dans ses pensées quelques secondes, et voilà que Dieu a transformé le monde en pire. Le New Jersey se dessine à l’horizon […]_. On n’est qu’à un coup de volant d’être en route vers_ […] le bled le plus pourri du monde. »
(4) Signalons, chez Gallmeister toujours, la parution d’une nouvelle enquête, évidemment fort plaisante, de Martha Ettinger, shériffe dans le Montana, et du guide de pêche et détective Sean Stranahan : Le Baiser des Crazy Mountains, de Keith McCafferty, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Boulet, 496 pages, 25,20 euros.
(5) Dont je t’avais parlé ici même en novembre dernier.
(6) Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Marie Carrière, Rivages/Noir (poche), 528 pages, 9,90 euros.
(7) Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Bondil, 496 pages, 23 euros.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.
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