Des cheveux, faisons table rase
Alors que la chevelure reste identifiée comme le symbole de la féminité, on voit apparaître de plus en plus de crânes nus dans les magazines, sur nos écrans…
dans l’hebdo N° 1663-1667 Acheter ce numéro
Et dans la rue, souvent lors des mobilisations féministes. « Sans parler de mode, dans les collectifs et mouvements, nous sommes plus nombreuses qu’avant », estime Laura, qui participe aux colleuses de Paris. Parce que l’on entretient un lien intime avec ses cheveux, celui-ci est de fait politique. La jeune femme de 28 ans a franchi le pas il y a cinq ans. « On a pu penser que c’était un coup de tête, sourit-elle. Mais cela faisait longtemps que j’y réfléchissais. Je ne me voyais qu’à travers ma longue chevelure blonde chérie par mes parents depuis mon enfance. Il me fallait déconstruire cela à coups de tondeuse. » Car se raser la tête permet aussi de repenser la beauté et ses codes, « même si la première fois que l’on voit son crâne lisse, ça fait vraiment bizarre, reconnaît Laura_. J’ai passé plusieurs semaines à toucher ma peau, à découvrir la forme de mon crâne. Mais j’ai aussi redécouvert mon visage, la forme de mes joues et de mes pommettes. C’est une drôle de sensation, comme si je m’étais débarrassée des artifices qui me cachaient ».
Toutefois, son sentiment de liberté s’est rapidement heurté aux remarques non sollicitées qu’elle a essuyées par la suite. Famille, ami·es, inconnu·es dans la rue ou à l’université, chacun semblait avoir son avis sur sa non-coiffure. Il y a eu, et il y a encore, les insultes telles que « féministe radicale », les sous-entendus sur son orientation sexuelle, les questions sur son état de santé… « De toute façon, on subit déjà tout le temps des commentaires sur notre physique en tant que femme. Alors les commentaires sur notre boule à Z, ça ne change pas de l’habitude », s’amuse Sarah, qui trouve que sa nouvelle coupe de cheveux est bien pratique pour faire du sport, notamment de l’escalade.
_« Moi, je me sens forte et féminine ainsi. J’ai repris le contrôle sur mon corps. Loin des diktats actuels, je construis ma propre féminité »__,_ assure Adrienne, qui arbore sa tête nue depuis deux ans. Ancienne étudiante en histoire, elle évoque le cas des femmes tondues à la Libération : celles qui étaient soupçonnées d’avoir eu des relations avec des Allemands durant l’Occupation étaient publiquement rasées. _« L’objectif était de les désexualiser en les rendant laides. Il y a plusieurs connotations négatives liées au crâne rasé : la maladie, la mort… Les jeunes femmes d’aujourd’hui qui décident de se raser les cheveux renversent cela, se réapproprient le geste à leur manière. Et c’est d’autant plus “drôle” qu’il s’agit souvent de femmes politisées à gauche, alors que le crâne rasé des hommes est identifié à l’extrême droite ! »_
Réappropriation du corps, redéfinition de la beauté et de la féminité… Se raser la tête revêt bien des significations pour les femmes. Lorsque la mannequin Cara Delevingne, alors âgée de 24 ans, s’est tondu le crâne, les remarques et commentaires furent son quotidien. Fatiguée, elle leur a répondu : « C’est épuisant de s’entendre dire ce que devrait être la beauté. Je suis fatiguée de cette société qui définit la beauté pour nous. Ôtez vos vêtements. Enlevez votre maquillage, coupez vos cheveux. Débarrassez-vous de toutes les possessions matérielles. Qui sommes-nous ? Comment définissons-nous la beauté ? Que considérons-nous comme beau ? »