« La hausse des prix de l’immobilier est un jeu où tout le monde est perdant »
L’économiste Pierre Madec analyse la montée des inégalités face au logement et déplore l’absence de courage politique sur la question.
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D’où vient l’inflation dans l’immobilier ? Faut-il s’en réjouir ? Comment y répondre politiquement ? Pierre Madec décrit un phénomène aux causes structurelles qui pose une épineuse question politique : la place centrale de la plus-value immobilière.
Comment expliquer que la hausse des prix de l’immobilier continue, alors que ceux-ci ont déjà atteint des sommets ?
Pierre Madec : Il y a tout simplement un fort déséquilibre entre l’offre et la demande de logements. La demande augmente sous l’effet d’un nombre croissant de « décohabitations », avec la hausse du nombre de divorces et le besoin des plus jeunes à davantage d’autonomie. Depuis le début des années 2000, la demande est fortement solvabilisée par des conditions d’emprunt très favorables. Les banques ont augmenté la capacité d’achat de certains ménages. Dans le même temps, l’offre a tendance à se tarir. Dans le parc ancien, on observe une baisse de la mobilité résidentielle. Les ménages bougent de moins en moins.
Le secteur bancaire hypertrophié a-t-il provoqué une déconnexion entre les prix du logement et l’économie réelle ?
L’assouplissement des conditions de crédit vise à faciliter l’endettement des ménages, mais aussi l’investissement. Il est donc compliqué d’affirmer que nous avons trop ouvert les vannes et déconnecté le marché immobilier. En revanche, il aurait fallu prévoir des garde-fous pour empêcher que les prix s’envolent, il y a vingt ans, au moment de l’assouplissement.
Cette évolution des prix a permis d’enrichir beaucoup de ménages, mais elle en a exclu beaucoup d’autres. Au même moment, l’État a arrêté de faire de l’accession sociale à la propriété, qui marchait relativement bien au début des années 2000, en estimant que les ménages modestes allaient pouvoir accéder au crédit. Cette situation fait grandir la dichotomie entre les ménages qui peuvent accéder au crédit et ceux qui en sont exclus.
Il y a eu un surenrichissement de toute une génération, des gens qui ont acheté à la fin des années 1990. La première inégalité est donc générationnelle. Il en résulte une seconde au sein d’une même génération sur la question des héritages. C’est un effet massif. Cela pose donc la question du foncier : doit-il être considéré comme un bien public sur lequel il serait impossible de spéculer ? C’est le fondement des mécanismes nouveaux comme les organismes de foncier solidaire. On entre dans une question philosophique, mais, d’un point de vue économique, cela a une importance centrale.
C’est un sujet politiquement sensible…
C’est tout le problème. Dans un monde où il y a près de 60 % de propriétaires, il est -compliqué de se faire élire avec un programme tendu vers une baisse des prix de l’immobilier. De la même manière, les gens sont majoritairement pour les logements sociaux, mais pas dans leur rue. Tout comme vous serez grillé politiquement si vous mettez dans le débat une proposition sur la taxation de la plus-value sur les résidences principales.
Les Français sont paradoxalement plutôt satisfaits de leurs conditions de logement, alors que les chiffres du mal-logement continuent d’augmenter d’année en année, que le logement est le premier poste de dépense des ménages – il représente à peu près 30 % de leurs dépenses de consommation – et qu’il ne cesse d’augmenter. Malgré tout, le sujet est presque secondaire politiquement. La majorité des propriétaires pensent bénéficier de l’augmentation des prix. Pourtant, ce n’est pas parce que votre maison vaut trois fois plus aujourd’hui qu’au moment de l’achat que vous êtes plus riche. Votre niveau de vie n’a pas changé et, en cas de vente, vous aurez de toute façon à vous loger. C’est un jeu à somme nulle. Chacun pense être gagnant, mais nous sommes tous un peu perdants.
La question centrale est celle de l’impact de l’investissement public. Il faut expliquer aux gens que, si le prix de leur maison a augmenté autant, ils n’y sont pas pour grand-chose. La construction d’un métro ou d’une ligne à grande vitesse est financée par la collectivité. L’augmentation des prix qui en découle, le ménage n’y est pour rien. Est-ce qu’on trouve normal que ce ménage qui s’enrichit « sans cause » récupère l’ensemble de la rente foncière générée ? Ce n’est pas certain.
Pierre Madec Économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).