Le prix du logement, une urgence sociale
Trouver un toit est de plus en plus difficile pour tous les Français, et pourtant ce sujet reste politiquement secondaire. Alors les citoyens s’en emparent et proposent des pistes.
dans l’hebdo N° 1662 Acheter ce numéro
- Les prénoms ont été modifiés.
Le Pays basque est rongé par la malédiction des « territoires attractifs » : une forte pression des nouveaux arrivants sur les prix de l’immobilier, accentuée par la multiplication des meublés touristiques et des résidences secondaires, qui repousse les locaux loin du cœur des villes et des zones littorales. « En regardant le revenu des gens et ce que coûte le logement, nous constatons que 10 % de la population n’a pas les moyens de se payer quoi que ce soit, ni à l’achat ni à la location privée comme sociale », déplore Peio.
Avec le covid-19, nous avons un court instant cru à un tassement de cette folie inflationniste, qui a fait gonfler de 22 % les prix de l’immobilier à l’échelle nationale en dix ans. Mais la hausse est repartie de plus belle et un début d’exode urbain accroît au contraire la pression sur certaines zones rurales. Sur la côte basque, ce phénomène a fait grimper les prix de 15 % sur la seule année 2020.
En quelques mois d’existence, Alda a été assaillie d’histoires individuelles, dessinant une angoisse collective. Comme cette concierge de 65 ans qui continue de travailler pour ne pas perdre son logement dans le centre de Biarritz, où elle a toujours vécu, faute de pouvoir s’y loger par ses propres moyens. Ou ce père de famille divorcé de 45 ans condamné à retourner vivre chez ses parents. Des -histoires tristement banales, comme le sont devenus les chiffres records du nombre de personnes sans domicile et l’humiliant rite de passage imposé à toute une génération de locataires, contraints de produire une liste de garanties sans fin, souvent illégales, pour espérer arracher parmi des dizaines de candidatures un logement en état médiocre et néanmoins hors de prix.
Au Pays basque, 10 % de la population n’a pas les moyens de se loger.
La cherté du logement est un des principaux motifs d’exclusion. Elle creuse les inégalités entre les foyers qui peuvent accéder au crédit et ceux qui en sont exclus, et renforce la reproduction sociale. Il devient en effet de plus en plus compliqué d’acheter sans avoir au préalable hérité. Résultat, en quarante ans, le taux de propriétaires parmi les jeunes a été divisé par deux dans les strates les plus pauvres de la société, tandis qu’il augmente fortement dans les couches les plus aisées (2).
Avec 58 % de propriétaires en France, les partis politiques ne semblent pas pressés de se montrer offensifs et de toucher au statut de propriétaire, qui reste perçu comme une protection personnelle et une assurance que chacun tente de constituer pour sa descendance. « La maison, en basque, se dit “etxe” et elle est tellement centrale dans l’imaginaire collectif qu’elle est à l’origine de beaucoup de patronymes, souligne Peio. Sauf que, si nous ne régulons pas cette liberté d’être -propriétaire, le littoral ne sera bientôt plus qu’une zone de villégiature. »
C’est cette urgence qui a secoué le paysage militant basque, comme elle a électrifié le monde associatif marseillais après le drame de la rue d’Aubagne, en novembre 2018 (3). Le mouvement Alda s’est donc emparé, sur la question du logement comme sur d’autres problèmes, d’une méthode rodée depuis six ans dans les luttes locales : associer et responsabiliser les néomilitants, organiser des actions directes non-violentes, cibler des victoires concrètes sur des cas symboliques.
« Les gens à qui nous avons affaire nous connaissent très bien. Ils savent que nous sommes capables de mobiliser et de médiatiser des affaires. C’est grâce à cela que nous obtenons les victoires d’étape qui feront tenir le mouvement », analyse Txetx Etcheverry.Alda a établi une liste de priorités et pousse les décideurs à prendre des mesures concrètes, pour le plafonnement des loyers ou l’encadrement des meublés touristiques par exemple. « Pour que les changements arrivent, il faut un bruit de fond », résume Peio.
Cette grogne qui monte coïncide avec un véritable changement de paradigme chez les responsables politiques des grandes métropoles, à en croire Ian Brossat, adjoint communiste au logement à la ville de Paris. « Les politiques de régulation sont devenues consensuelles dans toutes les grandes métropoles. Les logiques libérales du “libre équilibre entre l’offre et la demande” ont du plomb dans l’aile. » Ces dynamiques locales ont désormais besoin d’un accélérateur national.
(1) Txetx Etcheverry est cofondateur du mouvement Bizi et d’Alternatiba, également chroniqueur à Politis.
(2) Le taux de propriétaires parmi les 25-44 ans chute de 53 % chez les ménages modestes entre 1973 et 2013 (à 16 %) et croît de 53 % sur la même période (à 66 %) parmi les plus riches. Source : commission des finances du Sénat d’après les enquêtes logement Insee 1973-2013).
(3) Huit personnes sont mortes dans l’effondrement d’un immeuble insalubre en plein cœur du centre-ville de Marseille, le 5 novembre 2018.