Un souffle magique

Lunatraktors poursuit son exploration du répertoire ancien du folk anglais et irlandais.

Jacques Vincent  • 7 juillet 2021 abonnés
Un souffle magique
© Peter Campbell Saunders

Lunatraktors est un duo anglais composé de Carli Jefferson, laquelle a perfectionné un art de la percussion avec le groupe Stomp, et de l’artiste transgenre Clair Le Couteur, à la voix extraordinaire par son intensité et son étendue – quatre octaves pour ceux qui savent compter ce genre de chose.

Il n’échappera à personne que le prénom de l’une est l’anagramme de l’autre, comme pour signifier l’imbrication des deux personnalités dans un projet singulier, à l’instar de leurs deux voix qui s’imbriquent dans la plupart des morceaux. Leur projet : aller chercher des chansons plus ou moins anciennes et en donner des interprétations contemporaines, à la fois par une actualisation des textes et une instrumentation particulière. Une quête qui tient à la fois de la recherche musicologique et du souffle magique.

Le Brexit est l’un des thèmes les plus présents. L’étoile manquante du titre de l’album (Missing Star) est celle du Royaume-Uni, qui ne figure plus sur le drapeau européen, et le morceau d’ouverture, « Rigs Of The Times », basé sur une chanson anglaise du XVIIIe siècle, fustige la propagande qui a conduit à cet état de fait, via Facebook et « des mensonges de dix pieds de haut sur le flanc des bus », et une époque dans laquelle « l’honnêteté est passée de mode ».

« Miri It Is » reprend ce qui est censé être la chanson anglaise connue la plus ancienne ; « Unquiet Grave » s’inspire de la chanson du même nom datée des alentours de l’an 1400 et de deux autres du XIXe siècle, dont « The Blantyre Explosion », évoquant un accident survenu dans une mine écossaise, typique du commentaire social engendré alors par les dégâts d’une industrialisation sans pitié.

Pour être singulier, le projet de Missing Star n’est pas si éloigné de la démarche de Rhiannon Giddens et de Francesco Turrisi, dont nous avons parlé récemment (lire Politis n° 1652, du 5 mai 2021). Il -diffère néanmoins par les voix et les -instruments utilisés : harmonium, mélodica, piano, un synthétiseur analogique et de nombreuses percussions, dont un tongue drum, cet instrument inventé à partir du recyclage d’une bouteille de gaz.

La quête de Lunatraktors traverse les siècles et s’éloigne parfois de la pure chanson folk avec une mise en musique de l’Ecclésiaste et une reprise de Leonard Cohen (« Lover, Lover, Lover »). Ce qui frappe, c’est l’ardeur avec laquelle le duo, et en particulier Clair Le Couteur, interprète ces chansons. Comme s’il les empoignait avant de les laisser prendre possession de lui. Comme si l’interprétation n’était possible qu’à partir du moment où la possession était totale. Ce qui fait de chacune d’elles une sorte de rituel profane rythmé par les tambours, le bourdonnement de l’harmonium ou du mélodica et le souffle des voix, qui parfois se passent de toute instrumentation. Et quand une chanson raconte une histoire mettant en scène plusieurs personnages, Le Couteur se fait comédien, utilisant les immenses capacités de sa voix pour les jouer tour à tour. Finalement, même si nombre de thèmes sont actuels, ces chansons sonnent de telle manière qu’il semble difficile de les situer dans la nuit des temps. Ce qui les rend encore plus ensorcelantes.

The Missing Star, Lunatraktors, Broken Folk Records/Inouïe Distribution.

Musique
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