Michel Husson, dynamiteur d’archiducs
Il se plongeait avec jubilation dans les travaux mainstream pour en déplier les incohérences et les trucages.
dans l’hebdo N° 1668 Acheter ce numéro
Michel Husson est mort soudainement cet été. Longtemps chroniqueur à Politis, il était un pilier de l’économie critique, en France et dans le monde. Travailleur infatigable, toujours au service des mouvements sociaux, auteur d’innombrables articles d’analyse économique marxiste de tous formats, depuis les papiers de recherche ultra-techniques jusqu’aux textes ultra-pédagogiques destinés à éclairer le débat public, ainsi que de livres à la fois clairs et profonds, Michel se distinguait par un humour pince-sans-rire et décapant.
L’une de ses contributions les plus réjouissantes, et peut-être pas la moins importante, reste sa guérilla scientifique contre les archiducs de l’économie mainstream. Dès lors que les hauts dirigeants, pour justifier leurs attaques contre la protection sociale, se prévalaient de travaux de leurs compères de l’académie, Michel se plongeait avec jubilation dans ces grimoires pour en déplier les incohérences et les trucages. Cela a commencé en 2000 quand, dans un document de travail de l’Institut de recherches économiques et sociales, il a démonté en détail l’article ésotérique publié par deux galonnés de l’Insee, Laroque et Salanié, dans la revue officielle de l’institut, Économie et Statistique, qui prétendait prouver mathématiquement que 46 % des chômeurs étaient en « non-emploi volontaire », autrement dit préféraient se prélasser en touchant leurs allocations.
Il reste épistémologiquement fascinant de voir comment une pseudo-étude complètement fallacieuse mais bardée d’équations a pu être signée par deux sommités internationales de l’économétrie, publiée dans une revue prestigieuse selon des critères plus politiques que techniques, pour être au bout du compte réduite scientifiquement en charpie par un outsider (quand même administrateur de l’Insee).
Michel répéta l’exercice plus d’une fois, avec d’autres études tout aussi spécieuses et politiquement biaisées derrière un vernis mathématique. Cela lui valut bien des quolibets, comme celui d’« idéologue inconnu du monde académique se livrant à une critique incompétente », décerné par le mandarin néolibéral Wyplosz, et que Michel brandissait fièrement en page d’accueil de son excellent site web hussonet.free.fr. Ce travail de harcèlement scientifique, et l’écho qu’il recevait, a provoqué chez nos adversaires maints « pétages de plombs (1) » qui réjouissaient à chaque fois Michel.
Norbert Holcblat, se référant au fameux mot d’ordre maoïste « mieux vaut être rouge qu’expert », a souligné à raison que Michel était « à la fois expert et rouge (2) ». Allons plus loin : comme Simon Leys l’a montré, Mao a en fait repris les mots de Confucius (« L’homme de bien n’est pas un ustensile »). Loin d’un appel à l’ignorantisme, ce précepte signifie que la clarté du jugement et la sagesse importent plus que les savoirs techniques spécialisés, certes utiles mais subordonnés. Rabelais l’a dit à sa manière (« science sans conscience… »). Pour être expert, il faut être rouge : la vie de Michel en est une brillante démonstration.
(1) Comme le grotesque pamphlet de Cahuc et Zylberberg sur le « négationnisme économique », qui visait notamment Michel.
(2) « Michel Husson, un économiste expert et rouge », www.anti-k.org, 22 juillet 2021.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.