Réhumaniser l’agriculture
L’Atelier paysan allie la réflexion politique, le recul historique, l’expérimentation et des propositions d’actions pour rompre avec l’exploitation conventionnelle et high-tech de la terre.
dans l’hebdo N° 1668 Acheter ce numéro
Chaque semaine, vous récupérez votre panier à l’Amap de votre quartier ou de votre village, vous mangez bio et favorisez les circuits courts. Mais un sentiment d’impuissance persiste. En lisant cet essai de l’Atelier paysan, vous comprendrez les raisons de ce malaise, et vous vous sentirez moins seul ! Celles et ceux qui ont rédigé collectivement ce « manifeste pour une autonomie paysanne et alimentaire » sont catégoriques : le complexe agro-industriel enraciné depuis plus d’un siècle dans notre société n’a jamais été ébranlé. Les luttes locales et individuelles ne suffisent pas.
Les auteur·es parlent en connaissance de cause puisqu’ils et elles appartiennent à ces mouvements bio-paysans qui résistent à l’agriculture productiviste. L’Atelier paysan, coopérative née en 2014 pour promouvoir l’autoconstruction d’outils low-tech destinés à la paysannerie, aide chaque année des centaines de personnes à devenir autonomes. Parallèlement aux formations, ses « cogitations collectives » alimentent des réflexions politiques regroupées dans ce livre dense mais pédagogique.
L’ouvrage interroge les notions de progrès et de modernité à partir du machinisme agricole, toujours plus high-tech, qui a créé de nouvelles dépendances chez les agriculteurs. Il revient sur l’histoire politique de la paysannerie et sur le « mépris du travail de la terre » qui s’est insinué partout en Occident, causant la disparition des fermes. Après la mécanisation, la chimisation. Le cercle présenté comme vertueux est devenu vicieux et, aujourd’hui, « cette agriculture ne nourrit pas la population : l’alimentation ainsi produite est à la fois surabondante et hors de portée des plus pauvres ».
L’originalité de l’essai se niche surtout dans l’audace qui consiste à remettre en question l’impact des alternatives et l’aveuglement de certain·es militant·es, dont les auteur·es font partie, qui ne permet pas la rupture espérée. Leur conclusion est réaliste mais brutale : la transition agroécologique rêvée n’a pas commencé, le clivage de classe autour de l’alimentation existe et la FNSEA se porte toujours aussi bien. « Nous avons des techniques, des marchés et des terres ; des convictions et des désirs aussi ; mais pas de stratégie qui les mette en cohérence, pas d’espace politique pour la construire. »
Une autocritique lucide, radicale, pour mieux dessiner un programme de luttes s’appuyant sur l’éducation populaire et quatre objectifs : installer un million de paysans en France d’ici dix ans, fixer un prix minimum d’entrée pour les produits importés, miser sur la socialisation de l’agriculture et de l’alimentation, selon le modèle de la Sécurité sociale, et, enfin, créer un mouvement de lutte contre la robotique agricole pour tenter d’amorcer la « désescalade de la puissance technologique » et retrouverune « alimentation réhumanisée ».
La bataille culturelle, sociale et écologique se mène aussi par la terre et le ventre.
Reprendre la terre aux machines L’Atelier paysan, Seuil, coll. « Anthropocène », 288 pages, 20 euros