« Un triomphe », d’Emmanuel Courcol : Jugés sur pièce

Dans Un triomphe, d’Emmanuel Courcol, un comédien parvient à monter En attendant Godot avec des détenus. Un film qui procure du bonheur.

Christophe Kantcheff  • 31 août 2021 abonné·es
« Un triomphe », d’Emmanuel Courcol : Jugés sur pièce
Des acteurs tous formidables pour du très bon cinéma populaire.
© duchili

Quand le cinéma d’auteur rencontre le cinéma commercial ! Fait rarissime. Surtout quand il ne s’agit pas pour le premier de loucher sur le second en tentant d’y puiser des recettes… qui ne fonctionnent jamais ! Il n’en est rien ici. Un triomphe, deuxième long métrage d’Emmanuel Courcol, ne trompe guère sur sa nature, ne serait-ce que dans l’intrigue qu’il développe : des taulards s’emparent d’En attendant Godot, de Samuel Beckett, et le jouent avec application et sérieux, ce qui n’empêche pas la comédie.

Un triomphe, Emmanuel Courcol, 1 h 46.
Le cinéma commercial, ici, est incarné par un comédien : Kad Merad. Le scénario l’a emballé, et c’est comme si Un triomphe lui avait réservé le meilleur accueil. La greffe a opéré : l’acteur des Tuche, de Bienvenue chez les Ch’tis et du Petit Nicolas y est archi-convaincant. Il interprète Étienne, un comédien en butte à des années de galère, comme beaucoup de ses semblables, n’étant pas monté sur scène depuis des années, en cruel manque de reconnaissance. Non par goût mais par nécessité, il accepte de prendre en charge un atelier de théâtre au sein d’une maison d’arrêt. La première scène montre qu’Étienne n’a jamais mis les pieds dans un tel lieu. Pourtant, ce n’est pas tant lui qui va s’adapter aux règles et aux pratiques de l’endroit que les personnes auxquelles il a affaire – les détenus comme la directrice de la prison –, qui vont finir par se plier à sa personnalité.

En effet, Un triomphe n’est pas « un film de prison » au sens traditionnel, qui déploierait sa fiction en s’appuyant sur la réalité pénitentiaire. Celle-ci reste hors champ. Plus exactement, elle est inscrite dans les corps et les esprits des détenus. Au début, l’action se passe avant tout dans une salle où Étienne les fait répéter. Dans cet espace, c’est lui qui impose sa loi. Qui n’a rien à voir avec les facilités d’un atelier socio-culturel. Étienne est là pour faire du théâtre. Il sent que les quelques volontaires présents à ses rendez-vous ont des potentialités. Il vise haut : mettre en scène avec eux En attendant Godot, l’attente étant chez ceux qui vivent entre quatre murs une expérience quotidiennement vécue. L’ambition d’Étienne inclut son propre sort : s’il réussit, il en tirera lui aussi des bénéfices.

Ainsi, tous les poncifs du « film de prison » qu’on aurait pu craindre tombent les uns après les autres. Les détenus, Moussa, Kamel, Patrick, Jordan…, interprétés par David Ayala, Lamine Cissokho, Sofian Khammes, Pierre Lottin, Wabinlé Nabié, Alexandre Medvedev et Saïd Benchnafa, tous formidables, ont un lourd passé judiciaire, mais leurs activités délinquantes ou criminelles n’entrent jamais dans l’intrigue.

De la même façon, la directrice de la prison (Marina Hands) se révèle être une alliée et même une complice dans la réalisation du projet d’Étienne, ce qui lui demande de sortir des sentiers battus et de prendre des risques. On pourrait penser qu’Emmanuel Courriol a imaginé là un conte réjouissant, mais hors de la réalité. D’autant qu’au bout du travail d’imprégnation de la pièce et de répétition, cette troupe nouvellement instituée et d’un type particulier donne une représentation publique qui fait un tabac, et qui ne sera pas la dernière… Mais le film est fondé sur ce qu’on appelle une « histoire vraie ». Cette information, qui trop souvent sert à consolider une fiction ne croyant pas en elle-même, atteste ici qu’il ne s’agit en rien d’un doux rêve d’intellectuel. Et confère à cette œuvre une humanité redoublée.

C’est peu de dire qu’Un triomphe est un film enthousiasmant, drôle et encourageant. Chacun y est tiré vers le haut. On pense à Frank Capra (La vie est belle, L’Homme de la rue…), inévitable référence dans ces cas-là, car l’idéalisme du cinéaste américain, dénué de démagogie, ouvrait sur les possibilités insoupçonnées des êtres.

Retour sur notre entame : quand le cinéma d’auteur rencontre le cinéma commercial avec cette exigence, cela donne une espèce finalement trop rare : du très bon cinéma populaire !

Cinéma
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