Une rentrée de tous les risques
Alors que le variant delta touche les jeunes davantage que les précédentes souches du coronavirus, le retour en classe inquiète enseignants et soignants. Le ministère a opté pour un protocole allégé.
dans l’hebdo N° 1669 Acheter ce numéro
Avec la pandémie de covid-19, les rentrées scolaires se suivent sans se ressembler. À l’approche de la date fatidique du 2 septembre, cette rentrée était source d’inquiétudes pour les personnels de l’Éducation comme pour les parents. Avec la nouvelle donne du variant delta, qui touche les jeunes davantage que les précédentes souches du coronavirus, « nous ne sommes pas dans le même contexte qu’en 2020, ni même qu’avant l’été », explique Guislaine David, porte-parole du Snuipp-FSU (1). Selon les modélisations de l’Institut Pasteur, à l’automne, 50 % des contaminations concerneront les enfants, notamment parce que les moins de 12 ans ne sont pas éligibles à la vaccination. « On le sait, c’est impossible qu’il n’y ait aucun cas de covid dans les écoles, estime Guislaine David. Il est donc important de prévenir cette situation pour protéger les élèves. »
En guise de réponse, le ministère de l’Éducation nationale a dévoilé, fin juillet, un protocole sanitaire à quatre niveaux. Un mois plus tard, le 21 août, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, indiquait dans Le Journal du dimanche que la rentrée se ferait au niveau 2 de ce protocole, ce qui implique les cours en présentiel avec le masque obligatoire, sauf pour la maternelle. « C’est vraiment épuisant, cette communication, s’exaspère Linda*, qui enseigne en grande section de maternelle dans une école d’Île-de-France. On est obligé de lire la presse pour savoir comment se déroulera la rentrée. Depuis le début de la crise, je n’ai eu aucune information officielle de manière directe. Pourtant, le ministère a nos adresses mail puisqu’on reçoit régulièrement des vidéos de remerciement de sa part… »
Sur le fond, de nombreux acteurs estiment que ce niveau du protocole est insuffisant au regard du contexte sanitaire. « Il nous apparaît aujourd’hui impensable, pour la majorité des départements français, d’envisager une reprise au niveau 2 du protocole sanitaire, alors que le taux d’incidence chez les 0-19 ans est cinq fois supérieur à celui de la rentrée 2020 », écrivaient une trentaine de médecins et -d’enseignants dans une tribune publiée le 19 août dans Le Monde (2). Guislaine David, qui a par ailleurs signé ce texte, estime que ce protocole est « plus allégé que celui que nous avions à la fin de l’année scolaire ».
Brassage
L’enjeu de la vaccination pour le second degré
Alors qu’ils ont été les derniers concernés par la vaccination, 57 % des 12-17 ans ont déjà reçu une première dose, indiquait Jean-Michel Blanquer le 26 août : « Notre volonté est d’élargir la vaccination. Nous travaillons pour qu’une proposition vaccinale soit faite pour ces élèves au plus près du terrain, pour se faire vacciner soit dans l’établissement, soit à proximité. » Dans les collèges et les lycées, le protocole prévoit qu’en cas d’apparition d’un cas positif dans une classe, les élèves non vaccinés suivent les cours à distance. « On stigmatise une partie d’entre eux, alors qu’ils dépendent du choix de leurs parents. On est en train de leur dire qu’ils n’auront pas les mêmes droits que ceux qui seront vaccinés », déplorait la coprésidente de la Fédération des conseils de parents d’élèves, Nageate Belahcen, sur France Info. Pour les professeurs, cela demande d’être encore une fois multitâches en assurant des cours à distance et en présentiel, mais en même temps.
Outre les paradoxes du protocole national, c’est surtout sa déclinaison au niveau local qui demeure un enjeu. À nouveau, les directeurs et directrices d’école sont en première ligne. « On a l’habitude. Depuis mars 2020, on a connu une trentaine de modifications du protocole sanitaire », ironise Marie*, directrice d’une école rurale de l’est de la France. Cela fait plus de quinze jours qu’elle planche sur celui de la rentrée, mais elle ne devait rencontrer le rectorat que le 31 août, l’avant-veille de la date fatidique. « S’il y a quelque chose qui ne va pas, il faudra tout ajuster à la dernière minute, encore une fois. Ce n’est pas comme s’il y avait eu deux mois d’été pour s’y préparer, pourtant… » grince la jeune femme.
Même regret du côté de Linda, qui manque d’informations pour créer son emploi du temps : « Et le sport ? Et les jeux libres ? » se demande l’institutrice, qui est à risque. « Sans compter qu’il est est un peu bizarre de parler de “protocole” en maternelle, où les enfants ne peuvent pas porter de masque et où le modèle pédagogique se fonde sur des activités en groupe. » Dans des classes chargées, « les tout-petits touchent tout, portent les objets à la bouche, énumère Guislaine David. C’est un angle mort de l’Éducation nationale depuis le début de la crise. Par exemple, comment parler de continuité pédagogique en petite section ? »
Continuité pédagogique
Et la « continuité pédagogique » risque de poser question. Le niveau 2 du protocole prévoit la fermeture de la classe pour une durée de sept jours dans l’éventualité d’un cas positif. « La règle de la fermeture des classes dès le premier cas pourrait rendre la réouverture du primaire très complexe, notamment en cas de fermeture fréquente » d’une même classe, prévient le Conseil scientifique dans une note d’alerte (3) publiée le 27 août. « Rater une fois quatre jours d’école, ce n’est pas si grave : on voit souvent des élèves absents une semaine à cause d’une gastro ou autre, rassure Guislaine David. Pour autant, il faut absolument éviter que ces fermetures se répètent. On l’a vu lors du premier confinement, l’école à la maison accentue les inégalités et les difficultés scolaires des plus fragiles. »
Plus largement, l’enjeu n’est pas tant la rentrée que le reste de l’année scolaire. « Blanquer nous dit que la rentrée se passera bien, comme c’est le cas à La Réunion, où seulement 0,2 % des classes ont été fermées pour l’instant. Et, pour une fois, je suis d’accord avec lui, plaisante la porte-parole du Snuipp-FSU. Le 2 septembre, tout se passera bien. Mais qu’en sera-t-il deux ou trois semaines après, lorsque le virus aura circulé ? Il faut sécuriser le reste de l’année. » Pour cela, le syndicat et d’autres réclament une politique de tests plus fréquents pour dépister les cas au plus tôt : « un dépistage bihebdomadaire » avec « une adhésion de 50 % de la population scolaire […] permettrait de garder les classes ouvertes si les enfants trouvés infectés sont renvoyés à leur domicile », abonde le Conseil scientifique. Si Jean-Michel Blanquer a annoncé un objectif de 600 000 tests salivaires hebdomadaires dans le premier degré, ce chiffre paraît insuffisant en comparaison des 6,7 millions d’écoliers en France. « D’autant qu’il y a un effort de communication à faire envers les familles, précise Guislaine David. L’année dernière, le taux d’acceptation de ces tests était de 60 %. »
Quid des capteurs de CO2 et des purificateurs d’air demandés par la plupart des organisations syndicales ? Lors de sa conférence de presse de rentrée, le ministre de l’Éducation nationale a affirmé qu’il souhaitait « généraliser » ces capteurs qui permettent de mesurer le besoin d’aération d’une salle et d’éviter ainsi les contaminations. Mais ces équipements ont un coût pour les collectivités territoriales, qui attendent toujours le soutien financier de l’État. Quant aux purificateurs d’air, Jean-Michel Blanquer se montre sceptique : « Le plus important est surtout d’ouvrir les fenêtres le plus souvent possible. » « Sauf que l’on ne pourra pas les ouvrir plus grand que l’année dernière », répond Marie, la directrice d’école.
- Les prénoms ont été modifiés.
(1) Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC-Fédération syndicale unitaire.
(3) « Fin de la période estivale et pass sanitaire. Rentrée de septembre 2021 », Note d’alerte du Conseil scientifique covid-19, 20 août 2021, actualisée le 25 août.