Assurance chômage : « Le gouvernement veut absolument passer en force »

Pour imposer sa réforme en dépit du Conseil d’État, le gouvernement compte publier un décret identique à celui qui a été suspendu en juin, avec effet immédiat. Mais la bataille juridique n’est pas terminée, prévient l’avocat Cédric Uzan-Sarano.

Erwan Manac'h  • 28 septembre 2021
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Assurance chômage : « Le gouvernement veut absolument passer en force »
© Photo : Maxime Leonard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

La manœuvre est d’une brutalité rare. Pour imposer la baisse des allocations chômage des travailleurs alternant des périodes d’emploi et d’inactivité – 1,15 million de chômeurs devraient perdre en moyenne 17 % de leur allocation selon l’Unédic – le gouvernement compte publier un copié-collé du décret suspendu le 22 juin par la juge des référés du Conseil d’État.

Cette stratégie du fait accompli n’écarte toutefois pas définitivement le débat juridique autour de ce texte. Le décret sera immédiatement contesté au fond comme en référé par les organisations syndicales, sur des bases similaires à celles qui avaient entraîné en novembre 2020 l’annulation partielle du texte. Les explications de Maître Cédric Uzan-Sarano, avocat au Conseil d’État, représentant l’Unsa.

Le gouvernement republie à l’identique un décret suspendu par le Conseil d’État, avec effet immédiat, pour contourner sa suspension : que vous inspire cette méthode ?

Me Cédric Uzan-Sarano : Ce n’est pas quelque chose que nous avons l’habitude de voir. Dans le contexte qui est celui de cette réforme de l’assurance-chômage, il est clair que c’est assez choquant. Un premier décret a en effet été partiellement annulé en novembre 2020, en raison de ruptures d’égalité « manifestement disproportionnées » au regard de l’objectif mis en avant par le gouvernement de lutte contre les contrats courts. Le gouvernement a revu sa copie avec un système de plafonnement destiné à lisser les écarts les plus grossiers.

Ce deuxième décret a été suspendu le 22 juin 2021 en raison à la fois de la teneur de la réforme, mais aussi de sa temporalité. Le gouvernement faisait rentrer en vigueur tout de suite la réforme du salaire journalier de référence, qui impacte l’indemnisation des demandeurs d’emploi, alors que le système de bonus-malus sur les contrats courts, payés par les entreprises, était reporté dans le temps. Le juge des référés a donc estimé qu’il n’était pas justifié de ne laisser entrer en vigueur qu’une partie du décret.

Reste que le Conseil d’État ne s’est pas encore prononcé au fond. Nous aurons la réponse d’ici à la fin de l’année au plus tôt. En attendant, le gouvernement aurait pu demander une remise en cause de la suspension en apportant au juge des référés des éléments de contexte nouveaux. Cela est prévu par la procédure. Mais il préfère reprendre un décret quasi similaire pour vider d’objet le recours contre le précédent. Sous couvert de toilettage, nous allons avoir un nouveau décret la veille de son application, ne laissant pas le temps matériel aux organisations syndicales de le contester avant sa prise d’effet. C’est une politique du fait accompli.

Les juges vont donc devoir se prononcer sur un texte qui sera déjà appliqué par les services de Pôle emploi. Reste-t-il une chance que la réforme soit tout de même annulée ?

Oui, il est courant qu’un texte déjà appliqué soit annulé. La question qui se pose alors est celle d’une éventuelle modulation dans le temps des effets de l’annulation. Le préjudice subi par les demandeurs d’emploi qui auront perdu des allocations à cause de l’application de la réforme militerait ici clairement en faveur de la rétroactivité, en cas d’annulation.

Quels sont vos principaux arguments juridiques pour attaquer cette réforme ?

Pour nous, ce qui a été jugé illégal en novembre 2020 n’a pas disparu de la réforme. À durée de cotisation égale, selon l’échelonnement dans le temps des périodes de travail, deux allocataires peuvent avoir des différences de traitement significatives. Même après le correctif apporté par le gouvernement. C’est difficilement justifiable au nom de la lutte contre les contrats courts. Nous allons donc rediscuter du cœur du sujet.

C’est une question de cohérence. Il ne faudrait pas qu’en cas de censure, le gouvernement n’ait qu’à reprendre sa copie, changer quelques détails pour que son texte passe la seconde fois. Si ce décret reste illégal, il doit être annulé une seconde fois.

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