Éducation prioritaire : une expérimentation qui inquiète
Des établissements hors REP pourront bénéficier au cas par cas d’avantages associés à ce label. Au risque d’en signer la fin ?
dans l’hebdo N° 1670 Acheter ce numéro
Il ne s’agit pas d’une simple évolution, comme l’éducation prioritaire en a beaucoup connu en quarante ans d’existence, que propose le gouvernement. Mais bien d’un changement de paradigme. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, et Nathalie Élimas, secrétaire d’État chargée de l’Éducation prioritaire, ont lancé, pour la rentrée 2021, une expérimentation dans trois académies : Nantes, Lille et Aix-Marseille. Celle-ci prévoit la mise en place de contrats locaux d’accompagnement (CLA) passés entre les établissements scolaires et les rectorats, une « voie parallèle » au réseau d’éducation prioritaire (REP), précise la secrétaire d’État.
Selon le principe de « donner le plus à ceux qui ont le moins », le classement en éducation prioritaire déclenche une série d’avantages tels que la dotation en heures supplémentaires pour faire des classes moins nombreuses et des demi-groupes, des primes pour les enseignants et des décharges pour la coordination en équipe. Les CLA permettent aux établissements qui ne bénéficient pas de ce classement d’obtenir désormais certains de ces avantages, « selon leurs besoins » : ici des primes pour attirer les enseignants, là des dotations d’heures pour des classes moins chargées… Il n’est pas question de toucher à l’existant, sous-entendu de défaire les REP, martèle le gouvernement. Toutefois, la crainte est que, si cette expérimentation des contrats locaux fonctionne, elle prenne le pas sur le modèle actuel de l’éducation prioritaire.
Si les 729 écoles et collèges REP ne sont pas remis en cause, cette expérimentation vise avant tout les établissements dits « orphelins » de l’éducation prioritaire. Derrière cette appellation, il y a des écoles primaires qui correspondent à l’indice social de l’éducation prioritaire, lequel prend en compte des critères liés aux revenus des familles et à l’environnement urbain ou à l’accueil d’élèves en difficulté. Mais, parce qu’elles ne sont pas rattachées à un collège classé REP, car accueillant des publics avec davantage de mixité sociale, elles se retrouvent exclues de cette politique.
« Seuls 27 % des élèves défavorisés seraient inscrits en éducation prioritaire au collège. Ce qui veut dire que la politique manque une partie de sa cible », pointe Louis Maurin, président de l’Observatoire des inégalités. Sont notamment ciblés les zones rurales « en décrochage économique » et les établissements isolés. Parce que la carte de l’éducation prioritaire est majoritairement adossée aux quartiers prioritaires de la ville, ces zones et établissements ne sont pas pris en compte.
L’inquiétude de certains acteurs de l’éducation prioritaire concerne la fin du pilotage national de cette politique publique, désormais gérée à l’échelle des académies. Même si le rapport qui a inspiré cette expérimentation, remis en novembre 2019 à Jean-Michel Blanquer, préconisait de laisser au ministère, donc à un niveau national, la gestion des réseaux d’éducation prioritaire renforcée (REP+), lesquels regroupent 364 établissements dans des quartiers qui concentrent des difficultés sociales fortes ayant une incidence importante sur la réussite scolaire. Car « c’est la philosophie de l’éducation prioritaire qui est en jeu », affirme dans Le Monde (1) Jean-Yves Rochex, chercheur en sciences de l’éducation, spécialiste de la question et membre du conseil scientifique de l’Observatoire des zones prioritaires. « Si l’on décide que l’école rurale en bénéficie au même titre que les ghettos urbains, on dilue la question de la relégation sociale dans quelque chose de plus vaste. Alors que ces deux types de territoires n’ont pas du tout les mêmes difficultés. »
Dans les zones rurales, en effet, l’un des enjeux majeurs est celui de l’orientation. « Malgré des résultats scolaires équivalents à ceux observés en milieu urbain – voire meilleurs pour les classes uniques –, les élèves ruraux connaissaient des difficultés d’adaptation au collège et au lycée. Ensuite, ils font preuve d’aspirations plus modestes en termes de poursuite d’études et de projets de métier », note par exemple une étude du Centre d’études et de recherches sur les qualifications.
(1) « Éducation prioritaire : une réforme discrète qui suscite des inquiétudes », Le Monde, 20 décembre 2020.