Eric Mingus : Une voix d’ogre
Nouvel album sombre et hanté pour Eric Mingus, qu’il est plus que temps de découvrir.
dans l’hebdo N° 1670 Acheter ce numéro
On n’évoque pas à la légère le nom de Mingus, contrebassiste, compositeur, immense figure de l’histoire du jazz et militant de la cause noire. Car on pense forcément à Charles quand on parle de Mingus. Il en existe pourtant un autre. Son fils Eric qui, après plus de vingt ans de carrière et une dizaine d’albums, mérite également que l’on s’intéresse à lui.
La sortie de The Devil’s Weight en offre une excellente occasion. Prévenons tout de suite que l’on ne retrouve pas tout à fait dans la musique du fils ce qui a fait la marque de fabrique du père. En termes de filiation musicale, on serait plus proche de Screamin’ Jay Hawkins, surtout sur les morceaux électriques qui parsèment ce disque sans pour autant le résumer. Car Eric Mingus est avant tout un chanteur, et la voix son instrument de prédilection.
L’héritage du père n’est pas pour autant occulté, peut-être a-t-il été simplement acté une bonne fois pour toutes avec un premier album, en 2000, dont l’étrange intitulé, Um… Er… Uh…, ne pouvait se lire que comme un clin d’œil au Mingus Ah Um de Charles, paru en 1959, année pour le musicien d’un retour au blues avec un autre album, Blues & Roots. Le blues comme lien entre père et fils.
Eric Mingus a d’ailleurs dédié The Devil’s Weight (« Le Poids du diable »)à un certain Hubert Sumlin, guitariste de Howlin’ Wolf, dont il rappelle qu’il fut une influence importante pour Jimi Hendrix, qui lui-même constitue une influence indéniable sur un morceau comme « You’ll Say Anything ». Pas le Hendrix qui, sur scène, repeignait le ciel à grands jets de flammes électriques mais celui qui, sur disque, maître du feu et de l’espace, dessinait de ces aquarelles avec ce qui restait de braise.
Mais la majeure partie du disque est avant tout une affaire de voix. À commencer par celle de Mingus, une voix chargée, insatiable, une voix d’ogre souvent poussée à bout. Celle d’un géant qui s’engouffre dans les chansons comme on va au charbon et en remonte une matière aussi brute et aussi noire. Des chansons qui se passent à plusieurs reprises d’instrumentation, évoquent la tradition gospel aussi bien que des rituels liturgiques d’Europe centrale. Des ensembles de voix comme des forêts sonores peuplées de forces obscures. Finalement, le seul îlot paisible est un morceau intitulé « The Elephant In The Room » et c’est le seul dont on aurait pu se passer. Car c’est définitivement la démesure qui sied le mieux à ce personnage hors du commun.
The Devil’s Weight, Eric Mingus, Ouch ! Records/Inouïe Distribution.