L’action artistique à 101 à l’heure !
Le nouveau directeur du Théâtre national populaire de Villeurbanne, Jean Bellorini, fête les 101 ans de ce lieu majeur dans l’histoire de la décentralisation. Il en profite pour réfléchir aux enjeux des années à venir.
dans l’hebdo N° 1672 Acheter ce numéro
Après six années à la tête du Théâtre Gérard-Philipe (TGP) à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), c’est en pleine période de pandémie que le metteur en scène Jean Bellorini a pris la direction du Théâtre national populaire (TNP) – Centre dramatique national de Villeurbanne (Rhône). Il aurait dû en célébrer le centenaire en 2020. Il a préféré attendre de pouvoir rencontrer le public de cette maison fondée par Firmin Gémier, que le dramaturge Michel Bataillon, artisan du programme de création et de diffusion des spectacles du TNP, qualifie de « grand oublié de l’aventure du théâtre populaire », « qui pour la première fois fusionne en un concept et en une marque typographique les mots “théâtre”, “national”, “populaire” ».
Centenaire du TNP, jusqu’au 26 septembre, Villeurbanne, 04 78 03 30 00, www.tnp-villeurbanne.com
On découvre dans la même publication un entretien où Jean Bellorini explique la manière dont il s’inscrit dans l’histoire de l’institution, qui, du Trocadéro où elle voit le jour, déménage en 1972 au théâtre de la Cité de Villeurbanne, fondé en 1957 par Roger Planchon, qui en devient alors le directeur. Avant de laisser la place à Patrice Chéreau (1972-1982), puis à Georges Lavaudant (1986-1996) et Christian Schiaretti (2002-2019).
« L’histoire du TNP est si riche qu’il y a une responsabilité vis-à-vis de sa mémoire. Je suis garant d’une certaine continuité, de la sauvegarde d’un théâtre de texte, par exemple. Mais je suis convaincu que l’art doit se réinventer et épouser l’inconnu », exprime l’artiste-directeur. Sa programmation de spectacles, de rencontres, d’expositions et de projections pour fêter le centenaire en cette rentrée illustre concrètement cette pensée, ce désir de regarder le passé pour mieux préparer l’avenir.
Invitée dans ce cadre à parler des « théâtres de service public hier et aujourd’hui », Marie-Ange Rauch, maîtresse de conférences en études théâtrales à l’université Paris-8 (Saint-Denis), voit dans cet anniversaire « l’occasion de remettre sur le tapis les enjeux sociaux et sociétaux qui ont motivé la création du TNP et des centres dramatiques nationaux (CDN) en 1946, qui depuis 1968 ont parfois tendance à être oubliés au profit de l’artistique seul ». Elle approuve ainsi la remise à l’honneur de Firmin Gémier, fondateur en 1910 du Théâtre national ambulant, qui se fixe une mission reprise par les CDN au moment de leur création : « l’élargissement du public en faisant porter l’effort sur les catégories sociales les plus fragiles, qui doit aller de pair avec la recherche et la présentation du meilleur des créations de l’époque. Deux axes qu’il est difficile mais essentiel de tenir ensemble », affirme l’universitaire militante.
Selon Marie-Ange Rauch, « une responsabilité devrait être partagée par l’ensemble des acteurs concernés par la vie du théâtre public, à commencer par le ministère, qui, aujourd’hui, nomme souvent les directeurs des CDN selon des critères étrangers aux objectifs d’un théâtre populaire (c’est-à-dire destiné à tous), comme la reconnaissance internationale ». Aux premières loges pour analyser le travail mené par Jean Bellorini à Saint-Denis, la chercheuse voit en celui-ci un digne successeur de Firmin Gémier – il lui consacre d’ailleurs un spectacle en cette rentrée, créé avec la Troupe éphémère, composée de jeunes gens, qu’il a constituée pour l’occasion, comme il le faisait chaque année à la tête du TGP. Le directeur plaçant son travail à Villeurbanne dans la continuité de ses six années à Saint-Denis, l’avenir du TNP est prometteur. Il se fera dans un dialogue étroit entre création et transmission.
« L’action artistique, qui permet au théâtre d’aller à la rencontre des personnes les plus éloignées des propositions culturelles, sera portée par les artistes programmés au TNP, notamment par le groupe d’artistes qui m’accompagnera sur la durée. Il ne doit pas y avoir de hiérarchie entre le travail de création et la rencontre avec les habitants », dit Jean Bellorini.
L’idéal de troupe, tel qu’il en existait jadis dans chaque CDN, transparaît dans ces propos. « Je suis persuadé qu’il s’agit là du modèle le plus adapté à l’époque. En temps de covid, les moments où les 70 personnes de l’équipe du TNP ont réussi à vraiment travailler sont ceux où des artistes pouvaient répéter ; une permanence artistique permettrait de conserver la dynamique nécessaire à l’exercice de nos missions », poursuit Jean Bellorini. Parmi les jeunes directeurs de centres dramatiques nationaux, il n’est pas le seul à exprimer ce besoin, guère encore entendu par le ministère de la Culture.
Le récent mouvement d’occupation des théâtres, pour protester contre la précarisation du secteur et de l’ensemble de la société, a mis en avant l’importance des nombreuses professions qui permettent aux CDN de dialoguer avec l’extérieur. Marie-Ange Rauch faisait déjà ce constat en 2017 dans la revue Théâtre/Public : « Il n’est pas recevable que les interrogations des artistes sur leur époque cessent là où la fabrique du théâtre commence. Reste, sans nostalgie aucune, à penser une politique publique dont l’équité des règles permette aux hommes et aux femmes de l’art de demeurer à l’avant-poste des CDN, garants de leur excellence artistique et d’un modèle de communauté enviable des métiers et des travailleurs du spectacle (1) ». Elle persiste et signe.
(1) Théâtre/Public no 224 (avril-juin 2017), « Présences du pouvoir ».