Le défi écolo
Toute la difficulté est là pour les écologistes. Leurs solutions apparaissent comme ce qu’il y a de plus éloigné de la sinistre réalité actuelle. L’urgence écologique appelle une remise en cause immédiate de notre système. La plupart des mesures indispensables se heurtent à la logique capitaliste, productiviste et consumériste.
dans l’hebdo N° 1670 Acheter ce numéro
Ceux qui espéraient un pugilat qui ne ferait que des perdants en ont été pour leurs frais. Le premier débat entre candidats à la candidature écologiste a plutôt fait honneur à la politique. Hormis le zombi Jean-Marc Governatori, très satisfait de sa petite personne, et promoteur sans complexes de ses livres, la confrontation fut d’un bon niveau. On pouvait craindre aussi l’indifférenciation. La version écolo des Dupont et Dupond : « Et je dirais même plus… » Ce ne fut pas le cas. Sans fracas mais sans renoncement, chacun a fait entendre sa différence. À ce jeu subtil, Yannick Jadot et Sandrine Rousseau ont incontestablement marqué des points. Le premier a appris depuis longtemps à parler au plus grand nombre, tandis que la seconde s’est sortie avec talent du ghetto dans lequel les commentaires d’avant match avaient tenté de l’enfermer. Sandrine Rousseau a même dominé le débat piège sur la laïcité. Il fallait absolument qu’elle fût « communautariste ». Le mot qui tue dans notre belle République. Au contraire, son analyse de l’universalisme s’est révélée un cran au-dessus. Non, elle n’est pas anti-universaliste, mais elle fait le constat que la France d’aujourd’hui, terre de tant de discriminations, et inégalitaire en diable, n’est, en vérité, pas du tout universaliste. La candidate a fort bien montré que le discours officiel confondait ce qui est et ce qui devrait être. Tandis que ses concurrents, plus frileux, se contentaient de réciter le catéchisme républicain.
Sur les autres sujets, beaucoup de convergences quand même. La sortie du nucléaire par exemple. Mais l’unanimité ici ne fait pas une majorité d’opinion dans le pays. La jolie formule de Jadot – « mieux vaut dépendre du vent, du soleil et de la géothermie que de Poutine et des pétromonarchies du Golfe » – satisfait la morale et l’esprit, mais son efficacité reste, hélas, à démontrer. Car toute la difficulté est là pour les écolos. Leurs solutions apparaissent comme ce qu’il y a de plus éloigné de la sinistre réalité actuelle. Mais aussi, de plus ambitieux. Autre exemple, la question démocratique. Si tous les candidats ont semblé faire un sort à une Ve République « à bout de souffle », à son hyperprésidentialisme poussé à l’extrême par Macron, et à sa « verticalité patriarcale », c’est pourtant bien dans le cadre de cette République gaullienne que la compétition se joue. Et la personnalisation reste un critère majeur de sélection. Comment en sortir ? Comment concilier l’exercice des pouvoirs régaliens avec une approche collective et démocratique de la politique ? La tâche n’est pas aisée. D’autant plus quand l’actualité est tragique – du souvenir des attentats de 2015 à la prise du pouvoir des talibans à Kaboul traduite en « menace terroriste ». Le débat « sécuritaire » n’est pas le plus confortable pour les écolos, comme pour toute gauche authentique d’ailleurs. Raison de plus pour éviter l’entre-soi des mots. Ainsi, le concept de décroissance, affirmé comme un mantra par l’ex-socialiste Delphine Batho, avec la foi de la nouvelle convertie, agit toujours comme un repoussoir pour beaucoup de Français qui s’estiment déjà dans une sorte de décroissance sauvage qui s’appelle chômage et précarité.
De même, la référence constante (même Jadot s’y est mis !) à la « radicalité » n’est pas forcément très heureuse. Elle parle à de tout petits cercles. Mais que signifie-t-elle pour la plupart de nos concitoyens ? « Extrémisme » ? « Gauchisme » ? Au risque d’effrayer le chaland. En réalité, les écologistes butent toujours sur une difficulté majeure : l’urgence écologique appelle une remise en cause immédiate de notre système. La plupart des mesures indispensables se heurtent à la logique capitaliste, productiviste et consumériste. Dans la trop longue histoire de l’inégalité (voir l’entretien avec Thomas Piketty page 6), notre époque occupe une place de choix. Nos débatteurs sont évidemment conscients de ces difficultés. Ils ont eu raison de souligner que « la question sociale et la question écologique sont intimement liées ». Depuis les Verts pluriels des années Voynet, ils le savent. De façon codée, la formule affirme la nécessité d’attaquer le système en profondeur. C’est la fameuse « radicalité », mais qu’il faut rendre humaine et crédible. Comment assurer la transition sans rendre la vie plus difficile à ceux qui souffrent déjà ? C’est l’histoire de la taxe carbone et des gilets jaunes. Fin du monde contre fin de mois. Un gap qui donne le vertige entre le vieux monde et celui de demain. L’articulation existe dans le programme des écolos comme dans celui de la France insoumise qui a beaucoup élaboré sur le sujet. Il faut convaincre de son réalisme des électeurs harcelés par le discours sur « l’écologie punitive » de ceux qui ne veulent rien partager. Les écologistes peuvent-ils dès maintenant faire triompher leur dialectique ? L’autre gauche ne les y aide pas. En attendant la candidature Hidalgo, la semaine prochaine, on a assisté au retour programmé du productiviste Arnaud Montebourg, aux accents gentiment réactionnaires (la terre contre la ville et la nation au-dessus de tout…). Pour faire passer leur discours, les écolos ont un premier défi à relever : celui de l’audience. Pour l’instant, leur primaire ne fait pas recette. En soi, le faible nombre d’inscrits (ils atteignaient tout de même les 53 000 mardi) donne la mesure du fossé à combler. Ce n’est pas seulement un fossé politique pour les écolos, mais pour nous tous et la sauvegarde de la planète.
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