Les Rencontres d’Arles : Déambulation esthétique et politique

Les Rencontres d’Arles, cinquante ans après leur création, conservent leur exigence de qualité, d’engagement et d’éclectisme. Sélection de l’édition 2021.

Olivier Doubre  • 8 septembre 2021 abonné·es
Les Rencontres d’Arles : Déambulation esthétique et politique
«u2009Thawrau2009! Révolutionu2009! Soudan, histoire d’un soulèvementu2009», dans l’église des Trinitaires.
© Ahmed Ano

Les Rencontres de la photographie ont retrouvé les ruelles arlésiennes. Sous la torpeur estivale, le public est là, visiblement heureux de passer d’une expo à l’autre après une année d’absence.

Passé les ruines de l’antique forum, on pénètre dans la chapelle du Museon Arlaten, qui accueille la rétrospective présentant la« Vie de photographe » de Sabine Weiss – qui vient de fêter ses 97 ans. Monument de la photographie humaniste du XXe siècle français, amie de Doisneau, elle était l’une des rares femmes de la prestigieuse agence Rapho après-guerre. On (re)voit avec plaisir son grain noir et blanc soyeux, notamment son fameux cliché de 1950 du petit mendiant des rues de Tolède au regard inquiet…

À peine sorti du Museon, un choc nous attend dans l’église des Trinitaires, juste en face. Sans doute l’exposition la plus forte et la plus belle de cette édition 2021. Les œuvres de huit jeunes photographes, à la fois acteur·rices et observateur·rices de la révolution soudanaise de 2019, qui provoqua d’abord la chute du sanglant dictateur Al Bachir, au pouvoir depuis trente ans, sont ici réunies sous le titre « Thawra ! Révolution ! Soudan, histoire d’un soulèvement ». Elles documentent le long sit-in de centaines de milliers de Soudanais·es, venu·es de tout le pays, faisant le siège six mois durant du quartier général des forces de sécurité à Khartoum et qui, malgré une dure répression, parviendront à arracher le pouvoir aux militaires.

Au milieu de la foule et des tentes, on découvre un peuple fier de recouvrer dignité et liberté, s’auto-organisant collectivement, ouvrant à même le sol des bibliothèques avec tous les livres interdits, des écoles pour les enfants des rues, des dispensaires soignant les blessés, des cuisines nourrissant jeunes et vieux, femmes et hommes, des ateliers de peinture créant et reproduisant fresques et slogans.

Malgré les charges, les lacrymos, les arrestations suivies de tortures, ce peuple soudanais, conscient et déterminé, arrache l’instauration d’un « gouvernement citoyen », refusant à la fois l’instrumentalisation démagogique de la religion (musulmane) par le régime, mais aussi celle des différences ethniques et religieuses, et bien sûr les inégalités sociales. On est surtout pris d’émotion devant le film de la cinéaste Hind Meddeb, qui a filmé les innombrables initiatives expérimentales durant le sit-in – créations éducatives de peintures, sculptures, slogans ou chansons.

D’autres superbes expositions se partagent l’espace de l’ancien atelier de la SNCF, la Mécanique générale. La première présente le travail de Clarisse Hahn sur les « Princes de la rue », ces jeunes migrants issus des anciennes colonies françaises traînant autour du métro Barbès à Paris, entre trafic de cigarettes ou de médicaments de substitution comme le Subutex et réunions entre copains, tous « descendants de héros français recrutés au temps des colonies ». L’artiste choisit de souligner les beaux regards de ces hommes, leurs corps, leurs vêtements, comme un pont entre Alger ou Tunis et Paris, immergés dans ce quartier populaire du nord de la capitale.

Ensuite, dans une petite salle, est projeté le film Garçons sensibles, du réalisateur Sébastien Lifshitz. Avec des images de l’INA, il retrace l’histoire du combat pour la non-discrimination des homosexuels en France et dans le monde, des années de clandestinité, durant lesquelles seuls Jean Marais et Jean Cocteau ou encore André Gide étaient officiellement « out », jusqu’aux années de revendication outre-Atlantique du Gay Liberation Movement et l’élection du militant Harvey Milk à San Francisco, puis dans l’Hexagone avec les Groupes de libération homosexuelle (GLH). C’est l’entrée sur le terrain politique, avec les prises de position de Roland Barthes, Charles Trénet ou Michel Foucault, et parfois Dalida en musique de fond. Un très beau film qui montre en quelque sorte la généalogie des mobilisations suivantes, de la lutte contre le sida aux combats pour le pacs et le mariage pour tous.

Enfin, la grande exposition « Masculinités » explore les multiples façons dont la masculinité a été « vécue, performée, codée et construite socialement » à travers le cinéma et la photographie. Entre clichés de soldats, queer activists, acteurs incarnant des officiers SS, ou les rockers hypersexués suisses de Karlheinz Weinberger au début des années 1960, et bien d’autres encore, l’exposition offre une multitude de lectures des codes qui font le masculin dans notre société d’images, du plus classique au plus caricatural. Où on ne naît pas vraiment homme, mais on le devient – en une infinité de formes et d’attitudes…

Faute de pouvoir rendre compte de toute la richesse des expositions présentées, on signalera enfin la belle rétrospective sur la revue Neuf, créée en 1950 par un jeune carabin, Robert Delpire, qui se destine alors à la chirurgie. En marge de ses études, il se consacre à la publication d’une revue, d’abord subventionnée par des laboratoires pharmaceutiques et soutenue par ses professeurs, mais qui très vite accueille des textes de Jean-Paul Sartre ou d’Henry Miller, et surtout des photos de Brassaï, Doisneau, Cartier-Bresson, Robert Frank… Formidable expérience, au cœur du Saint-Germain-des-Prés, qui donnera naissance aux éditions Delpire, qui publie depuis plus d’un demi-siècle les plus grands photographes.

Rencontres de la photographie à Arles (13), 35 expositions, jusqu’au 26 septembre.

Culture
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