« OAS » : ces radicalisés d’extrême droite devant la justice

Depuis le 21 septembre, six membres du groupuscule « OAS » sont jugés pour association de malfaiteurs terroriste. Une dérive qui résonne avec les exactions de l’État islamique.

Nadia Sweeny  • 29 septembre 2021 abonné·es
« OAS » : ces radicalisés d’extrême droite devant la justice
Des graffitis néonazis sur un lieu de culte musulman, en 2011 dans la banlieue de Lyon.
© JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

J e voulais être un martyr, un héros de ma cause », finit par lâcher Logan N. d’une voix tremblante. Après trois jours d’interrogatoire par le président de la 16e chambre correctionnelle de Paris, le principal accusé, 25 ans, vacille.

Il faut dire que l’accumulation d’éléments traduit une radicalisation violente de la part des membres de l’Organisation des armées sociales (OAS), groupuscule crée en 2016 par Logan N. Celui qui ressemble plus à un jeune geek qu’à un soldat néonazi semble avoir été au bord du passage à l’acte.Achat d’armes, confection d’explosifs, entraînements paramilitaires… Le but : « Enclencher une remigration basée sur la terreur »,dit-il aux policiers lors de sa garde à vue.Sur les réseaux sociaux, l’homme communique : « On recrute des chasseurs d’Arabes » ou encore : « Rebeux, blacks, racailles, migrants, dealers, jihadistes. Toi aussi tu rêves de tous les tuer ? Nous en avons fait le vœu. Rejoins l’OAS ! »

Leurs cibles : des mosquées, des restaurants ou des bars fréquentés par des « gauchistes », mais aussi certains hommes politiques comme Christophe Castaner ou Jean-Luc Mélenchon, qui est venu témoigner vendredi 24 septembre. Il dit « pardonner à ces jeunes qui ont gâché leur vie ». Mais, alpagué par les avocats de la défense, il finit par lancer : « Le fond du dossier ne m’intéresse pas. » Au lendemain de son débat avec Éric Zemmour, qu’il « accuse de répandre des idées qui finissent par pousser des gens à la violence », Jean-Luc Mélenchon s’inscrit dans une démarche politique de lutte contre l’extrême droite. Or, au tribunal, on décortique les mécaniques de fond qui ont amené ces six jeunes hommes aujourd’hui âgés de 23 à 33 ans à vouloir commettre des attentats. Trois autres, mineurs au moment des faits, seront jugés en octobre devant un tribunal pour enfants. Tous risquent dix ans de prison.

Ce sont des militants « natios » à forte tendance néonazie. Chez Logan N., la police retrouve un drapeau du IIIe Reich. Ses comptes Facebook ont pour identifiant un mail : klausbraun – en référence à Klaus Barbie et Eva Braun, maîtresse d’Adolf Hitler. Par messages, ils se donnent du « heil camarade »…. Même le nom d’une des sections du groupuscule, appelée « cigale », que Logan justifie « parce que c’est un animal répandu dans le Sud », fait en réalité référence à un jeu de mots propre à l’extrême droite : il sonne comme le salut fasciste, « seig heil ». Chez Thomas A., bras droit de N., des autocollants de propagande : « défense de la race blanche ». Il est abonné à plusieurs pages Facebook comme « Une Nation pour les Blancs »et stocke de nombreux clichés de symboles nazis.

Le but : « Enclencher une remigration basée sur la terreur. »

Sur les réseaux sociaux, Logan N. administre même la page Facebook des « amis et supporters d’Anders Breivik »,terroriste norvégien qui a tué 77 personnes lors d’une tuerie de masse en 2011. « À cette époque, pour moi, ce n’est qu’un chiffre », reconnaît celui qui conversait beaucoup sur le forum néonazi Iron March, actif entre 2011 et 2017, et lié à une vague d’attaques criminelles de l’extrême droite aux États-Unis (1). Il reprend le « Je suis Charlie » pour le remplacer par « Je suis Alexandre Bissonnette », en référence à l’auteur d’une tuerie de masse dans un centre culturel musulman à Québec, qui a fait six morts en janvier 2017. « Je ne le considérais pas comme un terroriste, mais comme un résistant », se justifie aujourd’hui le chef du groupuscule.

Choc moral des attentats

La haine du monde arabo-musulman constitue le noyau dur de leur engagement, et les attentats jihadistes vont accentuer ce phénomène. Le 14 novembre 2015, au lendemain de l’attaque du Bataclan, Logan envoie un message à sa mère : « Je ne supporte plus ce pays gauchiste gangrené par les Arabes. Soit je les tue tous, soit je quitte le pays. »

En parallèle, des agitateurs tels qu’Éric Zemmour relient insidieusement les attentats à l’histoire de la décolonisation. Dans une chronique au Figaro du 20 avril 2016, il écrit : « Les assassinats de Charlie et de l’Hyper Cacher de Vincennes, les massacres du Bataclan sonnent le retour des méthodes terroristes qui ont ensanglanté la bataille d’Alger. Mohamed Merah a assassiné des enfants juifs à Toulouse le 19 mars 2012 pour fêter dignement les accords d’Évian. »

Héritage de la guerre d’Algérie

Une analyse qui fait écho chez les défenseurs de l’Algérie française. Outre son nom, la structuration de l’Organisation des armées sociales, pensée par Logan N., se cale sur l’OAS historique (Organisation armée secrète), qu’il avoue avoir voulu régénérer.  « On est sympathisants de l’Algérie française à 100 %, renchérit Romain P., commandant dans le groupuscule. Pour nous, on ne soutient pas des terroristes, mais des gens qui ont sauvé des membres de nos familles. » Cet ancien militaire(il a passé six mois dans l’armée avant de la quitter pour « inaptitude à la vie militaire » – prétend qu’une partie de sa famille est morte dans une attaque du FLN. « On est tous pieds-noirs », clame-t-il. Trois d’entre eux le sont. Mais d’autres n’ont pas le même lien avec cette histoire. Louis M., en charge des explosifs, prétend que son grand-père, appelé en Algérie, a perdu son meilleur ami dans un attentat de l’OAS. Il n’empêche que la tendance politique familiale est à l’extrême droite, comme chez la plupart des mis en cause. Le père de l’un des mineurs est même un fan de Mussolini, dont le portrait orne le mur du salon.

La « ratonnade » devient un rite initiatique d’entrée dans la néo-OAS.

« L’OAS est bien vue à l’extrême droite, renchérit Logan N. Les choses qu’ils ont commises en France n’y sont pas évoquées, on ne se concentre que sur les choses graves : ils ont défendu les Français en Algérie. » Exit les assassinats racistes de l’année 1973. Exit le plastiquage du consulat d’Algérie à Marseille faisant quatre morts et vingt-trois blessés, attentat revendiqué par d’anciens de l’OAS pour « répondre à la colonisation algérienne de la France avec les moyens qu’utilisèrent les Algériens pour se défaire de la colonisation française »,écrit Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême droite, sur Slate. Une vieille théorie infusée dans les esprits des plus jeunes, prêts à prendre les armes pour « défendre la France ».

Dans cet héritage, la « ratonnade » apparaît comme une évidence. Elle devient même un rite initiatique d’entrée dans la néo-OAS. Un soir de 2017, Logan et Thomas A. déambulent dans les rues de Marseille à la recherche d’une victime. Ils accompagnent deux candidats qui désirent faire partie du groupe et qui doivent être mis à l’épreuve. L’un d’eux est mineur. « Quand on trouve un Maghrébin ou un Africain, je veux que vous le frappiez et que vous contrôliez votre adrénaline, leur ordonne froidement Logan. Je veux entendre les mouches voler pendant que vous le frappez. » Un homme a le malheur de croiser leur chemin. Ilreçoit d’abord un coup derrière la tête, se baisse et s’enfuit en courant. Tous se lancent après lui, mais il sème les jeunes nazillons.

Effet miroir

Devant la police, puis le juge d’instruction, les plus jeunes recrues évoquent un « gros carnage projeté ». « Logan voulait faire une tuerie de masse : à deux sur une moto, le mec derrière est armé, on passe à côté d’une mosquée et on tire dans le tas », déclare à la police l’un des trois mineurs prêts à le suivre. Le juge questionne Logan : « Votre organisation a agrégé des jeunes mineurs particulièrement déterminés. Vous les poussez sans cesse vers l’action armée. Comment êtes-vous certain que l’un d’eux ne va pas faire un attentat comme celui de Nice ? »

Dans son esprit, l’Organisation des armées sociales ne devait être qu’une branche d’une organisation bien plus vaste appelée Esperanta, au sein de laquelle devait émerger un pôle communication nommée le « National Media Center ». Un nom qui ressemble étrangement au Media Center de l’État islamique. Au tribunal, le magistrat s’octroie une réflexion personnelle : « Quand j’ai lu votre dossier, j’ai été fasciné par l’effet miroir de votre chemin initiatique avec celui des jihadistes. Dans votre construction intellectuelle, vous êtes extrêmement proche de ceux que vous prétendez combattre, explique-t-il. Le terroriste, ce n’est pas que l’autre. » Derrière la vitre, Logan N. répond calmement : « J’ai été radicalisé, c’est vrai. Mais moi, j’ai fait ça avec un sentiment patriotique. Ce n’est pas la même chose… »

(1) Le Southern Poverty Law Center – association américaine de surveillance de l’extrême droite – relie ce forum à une centaine d’attaques meurtrières.

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