Passages Transfestival : Foisonnant Brésil
À Metz, Passages Transfestival célèbre la vitalité de la scène artistique de ce vaste pays où la culture est aujourd’hui soumise à rude épreuve.
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Né à Nancy en 1996, sous l’impulsion du metteur en scène Charles Tordjman, le festival Passages était d’abord dédié à la création théâtrale d’Europe de l’Est. S’étant relocalisé à Metz en 2011, il a étendu peu à peu son champ d’investigation et s’est tourné en particulier vers le Moyen-Orient et l’Afrique à partir de 2016.
À la tête du festival depuis janvier 2020, désireux de lui donner un nouvel élan, le metteur en scène Benoît Bradel – qui dirige par ailleurs la compagnie Zabraka – a entrepris d’ouvrir plus encore son horizon en lui conférant une orientation à la fois transdisciplinaire, trans-européenne et transcontinentale.
Passages Transfestival, 2 au 12 septembre, Metz, passages-transfestival.fr
« Au long de son histoire, Passages a toujours étroitement relié l’art et la politique, souligne Benoît Bradel. J’ai choisi de mettre à l’honneur le Brésil parce que ce pays – dont je connais bien la scène artistique – me semble très révélateur du monde actuel, notamment au niveau de l’écologie. En outre, la question des rapports entre art et politique y apparaît aujourd’hui cruciale. »
De fait, le secteur du spectacle vivant subit une grande précarité au Brésil depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro.
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Dans ce contexte éprouvant, aggravé par la pandémie de covid-19, les passerelles avec l’Europe se révèlent indispensables. « Les théâtres étant fermés, les compagnies doivent trouver d’autres espaces (maisons à la campagne, plages, espaces publics…) pour pouvoir répéter et faire avancer leurs projets, explique Benoît Bradel. Plusieurs structures en France et en Europe – dont Passages – se sont mobilisées pour renforcer leur soutien. La pandémie entraîne un accompagnement sur une durée plus longue. »
Initialement prévue en mai 2021, cette édition inaugurale de Passages Transfestival a dû être reportée à ce début septembre en raison de la situation sanitaire, trop incertaine au printemps, la quasi-totalité de la programmation ayant pu être maintenue. Élaborée par Benoît Bradel en concertation avec plusieurs figures importantes de la scène artistique brésilienne, notamment les chorégraphes Lia Rodrigues et Ana Pi, elle présente un ensemble de propositions – mêlant théâtre, danse, performance, musique et arts visuels – presque aussi foisonnant que la forêt d’Amazonie.
Les femmes et les minorités sont particulièrement mises en valeur, comme en témoigne très bien par exemple Deixa Arder. Cosignée par les deux chorégraphes Marcela Levi et Lucia Russo (qui travaillent en binôme), cette pièce impétueuse s’attaque aux stéréotypes qui pèsent sur les corps des danseurs noirs, la danseuse Tamires Costa malmenant les codes et bousculant les références – de la pratique du blackface à Michael Jackson en passant par Joséphine Baker – avec une outrance jubilatoire.
Dans L’Autre – ou les figures féminines de la mort, la comédienne et marionnettiste Ana Laura Nascimento s’efforce, quant à elle, de déconstruire de grands archétypes féminins (la méduse, les sirènes, etc.) via des saynètes décalées visibles par une personne à la fois dans un théâtre miniature.
De son côté, l’artiste pluridisciplinaire Gabriela Carneiro Da Cunha invite le public à s’immerger dans Altamira 2042, une ample installation performative conjuguant sons (naturels et humains), lumières, sculptures animées, images et vidéos pour faire écho à la controverse qui entoure le barrage de Belo Monte – du fait de son impact sur l’environnement et les populations locales.
Avec Julia, l’autrice, metteuse en scène et cinéaste Christiane Janathy s’empare de Mademoiselle Julie, l’une des pièces majeures d’August Strindberg. Activant un dispositif scénique très sophistiqué entre théâtre et cinéma, qui intensifie le trouble inhérent au récit, elle transpose l’intrigue dans le Brésil d’aujourd’hui, où Julia, fille d’un riche patron, entretient des rapports d’attraction/répulsion avec son chauffeur noir…
Citons encore Rue, solo -éruptif de l’indomptable danseur et chorégraphe Volmir Cordeiro, rythmé par les frénétiques -tambourinades du percussionniste Washington Timbo : la transe nue.