Primaire écolo : Des débats de très bonne tenue
Les cinq candidat·es à l’investiture écologiste pour la présidentielle ont pu présenter leur projet devant les caméras, à trois reprises. Premier tour de scrutin du 16 au 19 septembre.
dans l’hebdo N° 1671 Acheter ce numéro
Près de 123 000 personnes se sont inscrites pour voter à la primaire du Pôle écologiste (1), qui désignera celle ou celui qui en portera les couleurs pour la présidentielle de 2022 : Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), peut avoir le sourire devant ce « grand succès ». À la question piège « à partir de combien de participant·es estimerez-vous ce scrutin représentatif ? », il bottait prudemment en touche, fin août, lors des Journées d’été de son parti : « Le nombre importe peu. »
Cinq candidat·es sont en lice : la députée Delphine Batho (Génération écologie), l’entrepreneur Jean-Marc Governatori (Cap écologie), l’eurodéputé Yannick Jadot (EELV), le maire de Grenoble Éric Piolle (EELV) et la vice-présidente de l’université de Lille Sandrine Rousseau (EELV). Le premier tour se déroulera en ligne du 16 au 19 septembre. Les deux candidat·es qui en sortiront en tête s’affronteront lors d’un second tour, du 24 au 28 septembre.
Si ce corps électoral peut paraître étroit comparé à celui des précédentes primaires de droite ou du PS (de 2 à 4,4 millions de personnes), il n’en est pas moins sept fois plus important que lors de la primaire EELV de 2016, et proche des 150 000 parrainages citoyens recueillis fin 2020 par Jean-Luc Mélenchon en appui à son entrée en campagne présidentielle. Et notablement plus large que la somme des adhérent·es des partis organisateurs (2), ce qui semble favorable à Yannick Jadot, doté d’une notoriété nationale plus étendue que ses concurrent·es. Cependant, l’apparente évidence des pronostics de la primaire écologiste a régulièrement été déjouée par le passé.
L’intérêt qu’elle suscite reflète l’attrait croissant de l’électorat pour les écologistes depuis deux ans et demi, après les élections européennes de 2019 (13,5 % pour la liste Jadot, en tête de la gauche), les municipales de 2020 (conquête des municipalités de Marseille, Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Grenoble, Besançon, Poitiers, etc.) et régionales (juin 2021), où les alliances menées par une tête de liste EELV ont obtenu de bons résultats. Par ailleurs, l’été catastrophique a marqué les esprits, longue suite de canicules, de sécheresses et d’inondations exceptionnelles un peu partout sur la planète, accentuant encore l’urgence à agir pour contrer le dérèglement climatique.
Début septembre, trois débats (3) ont été organisés entre les prétendant·es devant les caméras, de très bonne tenue dans l’ensemble, et qui ont attisé l’intérêt pour ce scrutin. Les journalistes en ont été pour leur frais dans leurs tentatives d’échauffer les candidat·es sur des questions supposément polémiques (droit au blasphème, laïcité, date de sortie du nucléaire, etc.). « Je ne participerai pas à nous abîmer collectivement avec une primaire où les phrases assassines prendraient le dessus », lance Yannick Jadot. Certes, Jean-Marc Governatori (« l’écologie au centre ») s’élèvera contre EELV – « il y en a marre de cette écologie de gauche », obstacle à la victoire selon lui. « Il ne gagnera pas la primaire, c’est bien pour tout le monde », rétorque Sandrine Rousseau.
L’urgence face à la crise du climat et de la biodiversité exige l’unité, justifient en filigrane les candidat·es – « Nous avons le devoir de faire gagner l’écologie en 2022. » Une prétention qui ne déclenche plus les sourires chez les journalistes : elle pourrait bien être endossée par une majorité de postulant·es à la présidentielle. Les cinq membres du panel se sont donc évertués à imposer leur légitimité face à la concurrence des autres écuries politiques, affirmant de concert une détermination à aller « jusqu’au bout, il y aura une candidature écologiste en avril prochain ».
Sur le cœur de la pensée écolo, les différences sont assez ténues. Ces écologistes sont anti-productivistes et anti-consuméristes, avec des propositions homogènes, aux termes près. Sobriété énergétique, sortie du nucléaire, priorité aux énergies renouvelables, élimination des pesticides, pas de transition écologique sans les entreprises, accompagnement des salariés des secteurs qui devront être abandonnés ou réduits (le nucléaire, l’automobile), lutte contre les lobbys et l’hégémonie de la publicité, etc. « Cependant, je ne parierais pas sur un unanimisme programmatique au-delà des questions environnementales, tempère la politiste Vanessa Jérome (voir p. 8), notamment sur les questions économiques, où se manifeste une distance variable au libéralisme », de la vision entrepreneuriale d’un Governatori opposé à tout nouveau prélèvement fiscal, à la volonté d’une Rousseau de porter la taxe carbone pour les entreprises à 250 euros la tonne en cinq ans. Et l’écoféminisme de cette dernière, qui dénonce toute contrainte imposée au corps des femmes, n’est pas superposable à celui de Delphine Batho, revendiquant une laïcité qui s’accommode de mesures contre le port du voile. Enfin, concernant la gouvernance, les cinq candidat·es proposent des modifications substantielles au régime actuel, apparentées à un démantèlement de la Ve République.
Voici en résumé les points saillants de leurs candidatures.
Delphine Batho
« 100 % laïque, 100 % féministe », elle martèle « décroissance » pour caractériser la radicalité de la transformation écologique qu’elle promeut – « il faut changer de boussole ». Un choix de communication cependant trop audacieux, nécessitant moult explications de texte, pour dévoiler une ambition finalement très proche de celle de ses concurrent·es. Elle a d’ailleurs quasiment renoncé à son terme fétiche lors du troisième débat. Elle s’affirme la plus tranchée sur la réforme des institutions : fin du présidentialisme et promotion d’une démocratie participative : elle renvoie les précisions sur son programme à une phase de coconstruction avec le public.
Jean-Marc Governatori
C’est l’iconoclaste du lot, dont on ne sait pas s’il porte préjudice aux autres quand il dit « nous les écologistes » ou s’il en démontre la capacité d’ouverture. Dans une approche un peu naïve, il écarte la question des alliances, voire la nécessité de combattre les lobbys économiques, convaincu que l’opinion publique se rallierait à un bon sens. Il est promoteur d’idées simples (« comme je l’ai démontré dans mes livres ») et finalement technocratiques, sous couvert de « faire petit et local » quand il envisage par exemple de « potagériser la France », de dénouer les problèmes d’éducation en six mois, ou d’éliminer le chômage par la généralisation de la bio paysanne.
Yannick Jadot
Son discours fluide et très construit capte l’attention. Rompu aux joutes oratoires, il a une bonne capacité à recadrer les échanges pour les emmener sur son terrain, soucieux de séduire. Ainsi, président, sa première mesure serait le démantèlement de l’élevage industriel, idée certes porteuse alors que le bien-être animal préoccupe l’opinion, mais articulée dans le même élan avec la fin de l’importation de soja OGM dont la culture, qui dévaste l’Amazonie, est poussée par l’épouvantable Bolsonaro, etc. Plus que ses concurrent·es, il insiste sur la dimension positive, joyeuse et réconciliatrice de son écologie « de solutions », à la fois pour le climat et la biodiversité, mais aussi au profit d’une société fracturée par la crise globale et l’agitation des peurs identitaires.
Éric Piolle
www.unecertaineideededemain.fr
C’est un peu l’ingénieur de la bande, lui qui revendique son parcours professionnel comme gage de sérieux : un programme très articulé et probablement le plus travaillé de tous, qui veut « transformer les problèmes en 1,5 million d’emplois ». Écologiste et social classé radical (il veut un « ISF climatique » qui portera sur les riches), le maire de Grenoble a pour lui l’expérience de la gestion plébiscitée d’une ville de plus de 100 000 habitant·es et l’atout d’avoir su rassembler « l’arc humaniste » au cours de sa trajectoire politique. Pourtant, dans les débats pour la primaire, il a peiné à faire briller ce CV si séduisant. Un symbole, avec ce slogan creux : « Une certaine idée de demain ».
Sandrine Rousseau
C’est la plus électrisante du panel, par son franc-parler susceptible de rallier un électorat disposé à « renverser la table » et à « changer la structure du pouvoir » – institutions, patriarcat, etc. Et si c’était l’heure de la rupture qu’elle appelle de ses vœux (« Oui, les temps changent ») ? Écoféministe, c’est la plus empreinte, parmi le panel, d’une volonté de justice sociale englobant la défense de toutes les minorités. Bille en tête, elle motive sa candidature par la révolte déclenchée par l’humiliation ressentie à la suite de la nomination au ministère de l’Intérieur de Darmanin, accusé de viol, et qui ferait écho dans l’opinion à d’autres humiliations (personnes racisées, handicapées, LGBT, etc.).
(1) EELV, Génération·s, Génération écologie, Cap écologie (fusion de Cap21 et de l’Alliance écologiste indépendante) et le Mouvement des progressistes.
(2) EELV, principale force du Pôle écologiste, compte environ 15 000 membres.
(3) Sur France Inter et franceinfo, avec Le Monde (le 5), sur LCI, avec Le Figaro et Loopsider (le 8) et sur Mediapart (le 10). À revoir sur Internet (« débats primaire écologiste » dans un moteur de recherche).