Zemmour : Au bon cœur des grands patrons
Éric Zemmour et son équipe s’organisent pour chercher des soutiens dans le monde des affaires, mais le caractère infréquentable du polémiste en chiffonne plus d’un.
dans l’hebdo N° 1671 Acheter ce numéro
Qui osera financer la campagne d’Éric Zemmour ? « Il faudrait déjà qu’il soit officiellement candidat », élude un proche, ancien cadre de banque d’affaires en Angleterre, qui préfère garder l’anonymat. « À moins que l’équipe nationale n’accepte que je vous réponde », ajoute-t-il, laissant entendre un début d’organisation derrière le pilier de CNews. Et un certain verrouillage de la communication. Parler au conditionnel et refuser de voir son nom affiché sur la place publique : telles semblent être les consignes lorsqu’il s’agit de s’exprimer sur les comptes du polémiste d’extrême droite et de son entourage.
Si, pour l’instant, les chèques ne tombent pas du ciel, une association se tient déjà prête pour les récupérer à la volée : l’Association de financement du parti Les Amis d’Éric Zemmour. La structure, déclarée le 30 avril dernier, et dont le siège social est dans le Xe arrondissement de Paris, n’y va pas par quatre chemins pour décrire ses domaines d’activité, affichés ainsi au Journal officiel : « soutien et financement de partis et de campagnes électorales » et « activités politiques ». Comme l’a révélé le Huffington Post, c’est à cette association que la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a adressé son agrément, le 1er juillet, « en qualité d’association de parti politique ».
Une annonce qui arrive à point nommé, le législateur ayant décidé que la période de financement de la campagne électorale pour l’élection présidentielle de 2022 commençait ce même 1er juillet. Dorénavant, les donateurs d’Éric Zemmour qui veulent financer sa candidature pourront obtenir une réduction d’impôt à hauteur de 66 % pour des versements limités à 4 600 euros. Pour les dons versés à un parti, le montant maximum est de 7 500 euros par personne, dans la limite de 15 000 euros par foyer.
Une autre association, déclarée elle aussi le 30 avril, a déposé des statuts dignes d’un parti politique : Les Amis d’Éric Zemmour. Son objet ? « Promouvoir la grandeur de la France et l’intérêt national ». Ce « mouvement contribue à l’expression du suffrage universel ; à cette fin, il peut notamment participer au débat public ainsi qu’aux élections », peut-on lire sur le site du JO. Son président est aussi le responsable du site Les Amis d’Éric Zemmour : il s’appelle François Miramont et serait « membre de Debout la France depuis trois ans », d’après un tweet que Libération a retrouvé.
Zemmour peut être « un candidat patriote et capitaliste », selon l’ex-FN Bernard Monot.
Cette proximité entre le parti de Nicolas Dupont-Aignan et le positionnement d’Éric Zemmour se vérifie par une première rencontre stratégique, en février, où le premier a demandé au second s’il comptait « y aller ». Certains membres de Debout la France (DLF) ont déjà anticipé et n’espèrent qu’une chose : être appelés par l’auteur de La France n’a pas dit son dernier mot. C’est le cas de l’ancien conseiller économique du Front national, Bernard Monot, qui a œuvré pour le programme de Marine Le Pen en 2017… avant de claquer la porte du parti, dénonçant « l’amateurisme général » du FN sur la sortie de l’euro. Ça tombe bien, cette mesure n’est pas non plus au goût d’Éric Zemmour. Au moins une bonne raison de lui envoyer son dernier livre, L’Eurovision pour les peuples : le patriotisme ou la banqueroute. Depuis, les deux hommes échangent beaucoup. Contacté, Bernard Monot, qui a été eurodéputé entre 2014 et 2019, raconte : « Nous avons parlé à plusieurs reprises au moment de la parution de mon livre en 2019, puis tout récemment, au mois de juin. Il me posait de très bonnes questions sur ma position : anti-Frexit et antifédéraliste. »
L’homme poursuit : « Dans nos discussions, je lui ai bien fait comprendre que le milieu des affaires était fondamental pour piloter un pays et que, contrairement à ce que pensait Marine Le Pen en 2017, les grands patrons du CAC 40 n’étaient pas nos ennemis. Éric Zemmour peut être un candidat patriote, capitaliste et en faveur de l’économie de marché : tout ce qui peut plaire aux chefs d’entreprise d’aujourd’hui ! » Patiemment, cet ancien financier attend son tour : il a fait comprendre à l’entourage d’Éric Zemmour qu’il pourrait aider à la fabrication d’un programme économique. Pour l’instant, ce dernier écoute d’une oreille attentive les conseils industriels de Loïk Le Floch-Prigent, l’ancien patron d’Elf, plusieurs fois condamné pour abus de bien sociaux. « Il commence à avoir des réflexes ; je n’ai pas fini ma pédagogie, mais il apprend bien », disait-il de Zemmour à Paris Match. Sacré professeur.
Mais la bonne entente entre les patrons et le polémiste tant rêvée par Bernard Monot n’est peut-être pas si évidente. « Là où cela peut coincer entre le milieu des affaires et lui, c’est la question du souverainisme. Pourquoi prendre le risque de soutenir Éric Zemmour alors que la social-démocratie est acquise aux marchés depuis longtemps et que le président de la République lui-même est de centre droit ? Dans le patronat du Medef, il n’y a aucune raison de soutenir sa candidature », pointe Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite.
Ce n’est pas faute d’essayer : en juin, comme l’a révélé le site d’investigation La Lettre A, Éric Zemmour avait rencontré sept grands patrons chez l’entrepreneur filloniste Stanislas de Bentzmann. Autour de la table : Henri de Castries, l’actuel président du très libéral Institut Montaigne et ancien bossd’Axa, et Nicolas de Tavernost, le patron de M6 – et donc d’Éric Zemmour, qui continue de tenir son débat hebdomadaire avec son comparse Éric Naulleau sur Paris Première, une des chaînes du groupe. Le numéro 2 de Safran, Bernard Delpit, aurait fait partie des convives, comme d’autres personnalités des affaires. « J’ai proposé à quelques amis qui étaient intéressés. Certains se sentaient proches de ses analyses, d’autres beaucoup moins », tente de nuancer Stanislas de Bentzmann dans Le Monde.
« C’est une réunion typique d’où sortent des personnes qui vont financer une campagne ou qui peuvent agrandir le réseau des éventuels financeurs, constate Gilles Richard, auteur d’une Histoire des droites en France (Perrin, 2017) et président de la Société française d’histoire politique. Mais il n’y a pas seulement l’argent que l’on donne : il y a aussi le fait de mettre à disposition des moyens de communication. De ce point de vue, Vincent Bolloré, via CNews, a mis en place un dispositif qui sert Éric Zemmour. » Contacté par Le Monde, l’entourage du patron breton assure ne pas financer la campagne de son chroniqueur star. Mais c’est bien une des filiales du groupe, Interforum, qui s’occupera de la distribution de son livre.
Condamné en 2011 pour « provocation à la discrimination raciale » puis en 2018, en appel, pour « provocation à la haine religieuse », le journaliste du Figaro peut attirer la curiosité de certains, sans forcément les convaincre d’investir dans ses ambitions politiques. « Je pense qu’Éric Zemmour a un rôle formidable à jouer comme agitateur d’idées. Les patrons apprécient beaucoup ses interventions, sa culture, ses références et sa manière d’écouter les autres », affirme Sophie de Menthon, la très libérale présidente d’Ethic, un réseau de 300 entreprises françaises de toutes tailles. C’est le cas de Charles Beigbeder, entrepreneur français proche de Marion Maréchal_. « J’aime bien le personnage : c’est un intellectuel qui aime l’histoire et notre civilisation, tout comme moi »,_ explique celui qui a financé le mensuel d’extrême droite L’Incorrect. Aidera-t-il Éric Zemmour à rencontrer des dirigeants ? « On verra », coupe court le frère de l’écrivain, qui a affiché officiellement son soutien à l’un des candidats LR, Michel Barnier.
Quoi qu’il en soit, la candidature Zemmour a sans doute davantage de chances d’attirer des hauts cadres ou des patrons de PME que des capitaines d’industrie. « Pour l’extrême droite, il y a sûrement des patrons qui financent, mais ils ne sont pas majoritaires », explique Gilles Richard. Dans cette catégorie, Éric Zemmour peut au moins compter sur le soutien de Charles Gave, multi-millionnaire à la tête du groupe financier Gavekal, spécialisé dans la gestion d’actifs, ainsi que l’a révélé Libération. L’homme est habitué à signer des chèques pour financer l’extrême droite : c’est notamment un soutien actif de l’Institut de formation politique, une structure parisienne qui veut propulser des étudiants et des jeunes actifs vers la droite dure. Parmi les diplômés : Marion Maréchal, créatrice de l’Institut de sciences sociales, économiques et politiques (Issep) à Lyon, positionné sur le même créneau.
Des membres de l’Issep naviguent d’ailleurs dans la galaxie Zemmour : c’est le cas de Pierre Meurin, le directeur pédagogique de l’établissement, qui est proche de l’association Les Amis d’Éric Zemmour. L’école va-t-elle puiser dans ses ressources pour amadouer des patrons locaux ? Contacté, l’ambassadeur des entreprises auprès de l’Issep n’a pas répondu à nos sollicitations. Une proche de Zemmour, de son côté, répond qu’il n’existe « aucun lien avec l’Issep », avant de poursuivre : « Mais il y a probablement des gens dans notre entourage qui y sont passés. »
Pour étendre la puissance d’impact des idées conservatrices, Charles Gave avait lâché un peu moins de 1 million d’euros pour le magazine Causeur en 2018, après avoir déboursé le double pour la candidature de Dupont-Aignan en 2017. Mais pour Éric Zemmour, assurait-il à Paris Match, « sa campagne ne coûtera pas cher, on lancera une chaîne YouTube depuis la Russie et on se débarrassera des sangsues, des brigands, de cette haute fonction publique ». Tout un programme.
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