Zemmour : Itinéraire d’un « bon client »
Biberonné au Figaro, révélé par France 2, porté aux nues par Bolloré, histoire d’une dérive tant personnelle que médiatique.
dans l’hebdo N° 1671 Acheter ce numéro
Singulière rentrée pour Éric Zemmour. C’est d’abord un nouveau procès, reporté (après déjà trois condamnations, notamment pour « injures publiques à caractère raciste »), qui était programmé ce début septembre pour « provocation à la haine raciale » et « injure raciale » après avoir déclaré à propos des jeunes migrants isolés qu’ils n’ont « rien à faire ici, ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs, c’est tout ce qu’ils sont, il faut les renvoyer et il ne faut même pas qu’ils viennent ». Procès repoussé au mois de novembre. Puis le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui enjoint les chaînes de télé et les radios à décompter son temps de parole, parce qu’il est désormais considéré « en acteur politique ». Cela, forcément, complique la sortie et la promotion de son livre.
Il n’empêche, malgré le nombre de casseroles trimbalées, le polémiste de droite extrême peut encore compter sur quelques soutiens médiatiques. À commencer par sa maison mère, Le Figaro, dont il s’est mis en retrait depuis le 1er septembre pour mieux se consacrer à sa promo et partir « à la rencontre des Français » et de ses lecteurs, tout comme Le Figaro Magazine, qui publie ses « bonnes feuilles » et lui accorde plusieurs pages, particulièrement élogieuses, où il se voit estampillé « observateur attentif », illustré en figure présidentielle, costarée cravatée (« Éric Zemmour, le perturbateur »). À suivre par Valeurs actuelles, qui l’accompagne dans ses idées du « grand remplacement ». Ou encore Vincent Bolloré, qui l’embauche sur CNews en septembre 2019 pour une émission quotidienne, « Face à l’info », dans laquelle, avec Christine Kelly en passe-plat, il décline ses idées nauséabondes sans aucune contradiction. Son arrivée n’avait pas manqué de susciter quelques remous en interne, balayés d’un revers de main par la direction. Idem au Figaro, où la Société des journalistes avait protesté (il avait alors reçu le soutien d’Eugénie Bastié).
« On lui a donné trop de place, trop d’importance, et on n’a pas reculé au moment où il fallait. »
Un tantinet contrainte par le CSA, CNews, qui entendait dans un premier temps maintenir le polémiste à l’antenne, a dû renoncer. Ses interventions dans l’émission sont ainsi suspendues. Quand bien même il ne s’est pas encore prononcé ouvertement sur une candidature à l’élection présidentielle. Une candidature qui va de la farce à la réalité. Mais qui dit aussi un parcours médiatique, marqué par les audiences. Et de quoi se demander qui a fait l’œuf de la poule.
Passé par Le Quotidien de Paris, épaulé par Philippe Tesson, mais également par Marianne et Valeurs actuelles, Éric Zemmour est éditorialiste au Figaro quand il est recruté sur le service public par Laurent Ruquier (« On n’est pas couché »), sur France 2, aux côtés de Michel Polac, avant de jouer le duo avec Éric Naulleau. Ce n’est pas un hasard. Il est déjà repéré. Mais c’est une première fenêtre d’importance. On sait qu’il va faire grimper les audiences avec ses provocations. Il est là pour ça. Zemmour est toujours là pour ça. C’est bien ce qui intéresse les chaînes. Et c’est pour cette raison qu’il a débarqué chez CNews. Audiences toujours. Cela dit, pour certains chefs d’antenne (à France Télévisions), sous couvert d’anonymat, au fil des années 2000_, « il est devenu tricard, alors qu’il était adulé, recherché. Sans être véritablement charismatique. On connaissait ses prises de position, ses idées. Quand les chaînes ont compris qu’il virait fascisant, elles se sont détournées. C’était trop compliqué, sinon insupportable. On lui a donné trop de place, trop d’importance, et on n’a pas reculé au moment où il fallait. Éric Zemmour ne représente que ce que l’on veut bien en faire, une fabrique des médias. Dans une certaine mesure, on est tous responsables, en télé comme en radio. Et ça sert bien la soupe des idées réactionnaires de son employeur actuel_ ». Pour l’instant, si tant est qu’il se présente à la prochaine élection présidentielle, il ne pèse que 7 % dans les sondages. Juste de quoi payer une campagne.
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