17 octobre 1961, une honte française
Plusieurs ouvrages reviennent sur ce crime et le difficile travail historique pour en raviver la mémoire longtemps enfouie.
dans l’hebdo N° 1676 Acheter ce numéro
Il aura fallu attendre soixante ans pour que la République reconnaisse ce « crime » du bout des lèvres, sans jamais nommer ceux qui l’ont véritablement perpétré : les agents de la police parisienne, sous les ordres du préfet Maurice Papon. Celui qui, dit-on, a observé des fenêtres de son bureau ses troupes massacrer des Algériens à coups de schlague dans la cour de la préfecture, avant de traverser le quai en portant les corps pour les balancer dans la Seine. Certes, Emmanuel Macron s’est rendu au pont de Bezons, où des Algériens furent aussi jetés à l’eau, pour y déposer une gerbe de fleurs en hommage aux victimes. Mais sans aucun discours officiel prononcé sur place. Seul un court communiqué sur le site de l’Élysée – qui ne comporte même pas le mot « police ». Pas de reconnaissance du massacre raciste de masse, voulu, préparé et ordonné, donc d’un crime d’État. L’Élysée parle d’une « tragédie » et d’« un engrenage de violence ».
Or, si ces faits sont aujourd’hui largement connus et indéniables, on le doit d’abord à un historien, sans poste à l’université, travailleur social, qui s’est battu durant des années pour écrire la vérité des faits : Jean-Luc Einaudi. Fabrice Riceputi a relaté le combat d’Einaudi, sa propre « bataille », pour reprendre le titre de sa Bataille de Paris (Seuil, 1991), qui fut le livre qui raviva la mémoire des faits trente ans après (lire la recension de Laurence De Cock et Mathilde Larrère, _Politis, n° 1675, 14 octobre 2021). Mais on doit aussi souligner le travail, avec toute la rigueur de l’historiographie britannique, des deux chercheurs Jim House et Neil MacMaster : Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire, paru d’abord en 2008, aujourd’hui réédité et augmenté. Les auteurs s’appuient notamment sur les nombreux documents militants qui furent les trop rares et discrets témoignages de faits survenus en plein Paris et « privés pendant plusieurs décennies de toute visibilité publique en France ». À la différence des neuf morts (communistes) du métro Charonne, dont le PCF et la gauche française ont tout de suite entretenu la mémoire.
On lira en outre, dans Paris 1961, la passionnante postface de l’historien Mohammed Harbi, dirigeant à l’époque de la Fédération de France du FLN, qui interroge les responsabilités du FLN, lequel avait choisi, quelques mois plus tôt, de faire tirer sur des policiers en métropole. Une décision prise à Alger, attisant la violence policière, qui ne prenait pas en compte « la situation minoritaire de l’émigration [algérienne en métropole] par opposition à la lutte des Algériens en Algérie ». Ce livre souligne bien que cette tragédie demeure, depuis la Seconde Guerre mondiale, « dans l’histoire moderne de l’Europe occidentale, la répression d’État la plus violente qu’eût jamais provoquée une manifestation de rue. »
Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’État et la mémoire Jim House et Neil MacMaster, traduit de l’anglais par Christophe Jaquet, postface de Mohammed Harbi, Folio Histoire, 752 pages, 10,90 euros
Ici on noya les Algériens. La bataille de Jean-Luc Einaudi pour la reconnaissance du massacre policier et raciste du 17 octobre 1961 Fabrice Riceputi, préface de Gilles Manceron, Le Passager clandestin, 288 pages, 18 euros