Arrêtons d’arroser l’industrie fossile !
Tant que les pouvoirs publics n’imposeront pas de régulation à Total et consorts, les citoyens et contribuables continueront de subir l’emballement des tarifs de gaz et d’électricité, et la dégradation du climat.
dans l’hebdo N° 1676 Acheter ce numéro
D’un hémisphère à l’autre, on meurt tour à tour de chaud dans des canicules étouffantes et de froid. Ces derniers jours, ce sont les hausses successives du prix du gaz, aux conséquences dramatiques pour de nombreux Français, qui ont fait parler d’elles. Publié ce mois-ci, le baromètre du médiateur national de l’énergie montre que 84 % des Français sont préoccupés par leurs dépenses de gaz et d’électricité, et que la précarité énergétique est en constante augmentation.
Au-delà des mesures d’urgence telles qu’une augmentation significative du chèque énergie, une véritable politique structurelle, qui ne coûterait rien mais rapporterait énormément, s’impose : cesser de financer le développement des énergies fossiles et en sortir une fois pour toutes. Rappelons ici qu’un cinquième du gaz consommé dans l’Union européenne provient en réalité de l’Arctique, qui fond toujours plus vite sous nos yeux. Selon le Programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique, la température moyenne annuelle dans cette région a grimpé de 3,1 °C entre 1971 et 2019, quand la planète se réchauffait au même moment de 1 °C.
Cet impératif à la fois climatique et social semble pourtant hors d’atteinte, tant les pouvoirs publics se montrent décidés à laisser à l’industrie fossile le soin de dicter l’agenda économique et politique pour son seul profit. Car si Total est toujours en capacité de développer de nouveaux projets financièrement instables et climatiquement dangereux, c’est bien grâce à l’argent que lui octroient les institutions financières privées comme publiques.
Une information ayant fuité d’un cabinet de Bercy indiquait, il y a un an, la possible obtention d’une garantie publique de 700 millions d’euros de la Banque publique d’investissement pour le nouveau mégaprojet gazier en Arctique russe, Arctic LNG 2. Depuis 2009, l’État a garanti des projets gaziers et pétroliers – et donc facilité leur expansion – à hauteur de 9,3 milliards d’euros. Quant à ce projet en particulier, mené par Total et le producteur de gaz russe Novatek, il a pour objectif de produire l’équivalent de douze fois la consommation annuelle de la France, tout en profitant de la fonte des glaces pour exporter sa production en Europe et en Asie. Située sur la péninsule de Gydan, en Russie, cette usine de liquéfaction permettra d’extraire le gaz des sols gelés, puis de le refroidir à – 163 °C pour le transporter ensuite via une flotte de méthaniers brise-glace.
Depuis ces révélations, la société civile se mobilise sans relâche pour empêcher cette nouvelle faveur de l’État français à Total. Une pétition soutenue par plus de 240 000 personnes, remise à Emmanuel Macron ainsi qu’à ses ministres Bruno Le Maire et Barbara Pompili, a réussi à faire sortir ce dossier de l’ombre. Et, enfin, le vent commence à tourner, les signes sont indéniables : lors d’une réunion à huis clos avec des ONG, Emmanuel Macron a notamment déclaré « ne pas souhaiter signer la garantie pour le projet de TotalEnergies ».
Malheureusement, le président de la République refuse depuis lors de confirmer publiquement le désaveu de l’État à ce projet. Pourquoi entretenir ainsi l’ambiguïté sur le soutien à un programme aussi effrayant qu’absurde ? C’est d’autant plus gênant que l’on sait que le gouvernement français a lancé, cette année, une coalition qui vise à mettre fin au soutien public aux énergies fossiles à l’export.
Depuis près d’un demi-siècle, Total, comme ses pairs de l’industrie fossile, a mis en place une stratégie consistant à fabriquer le doute autour de l’urgence climatique, à empêcher, grâce à un lobbying féroce, toute forme de régulation de ses activités, tout en continuant à exploiter massivement les énergies fossiles. Ces entreprises responsables de la dissimulation du réchauffement du climat ont dévasté la vie et les moyens de subsistance de millions de personnes, affectées par les dérèglements actuels.
L’influence désastreuse de cette industrie fossile en bout de course, sans ligne directrice et dénuée de morale, nuit depuis trop longtemps à notre démocratie, mais aussi à notre économie. Il est donc inenvisageable, alors que la dette fossile exige des contribuables une énième rallonge, que nos dirigeants continuent de traîner des pieds pour leur imposer de régler l’addition résultant directement de leurs actions.
On ne peut en effet attendre que les citoyens et contribuables paient indéfiniment, ici par l’augmentation des factures de gaz, là par l’emballement des événements climatiques extrêmes, cette stratégie court-termiste, imbécile et criminelle. Total savait, Total a menti, et Total, comme ses pairs, doit en être tenu pour responsable.
Par Clémence Dubois Responsable France pour 350.org
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