Au festival « Sens interdits », défense d’oublier
Le festival lyonnais se veut encore une fois le carrefour des scènes d’ailleurs. Des artistes du monde entier y conjugueront lutte et mémoire.
dans l’hebdo N° 1676 Acheter ce numéro
Après une sixième édition consacrée au réalisateur et metteur en scène russe Kirill Serebrennikov, alors arbitrairement condamné par le gouvernement de son pays, c’est aux artistes biélo-russes que Patrick Penot adresse son soutien en ouverture de la septième édition du festival Sens interdits. « Aujourd’hui, plus aucun ne peut s’exprimer librement dans son pays », explique le directeur aux personnes rassemblées le 13 octobre au Théâtre Nouvelle Génération – Centre dramatique national de Lyon, l’un des 26 lieux partenaires de l’événement qui rayonne ainsi sur Lyon et sa région. Ou plutôt qui ruisselle, Patrick Penot aimant à filer la métaphore fluviale pour décrire la démarche qu’il mène depuis la création de son festival international en 2007, alors qu’il était encore codirecteur du théâtre des Célestins.
Avec Feroz, de Danilo Llanos, codirecteur du théâtre et centre de recherche La Peste à Valparaiso, le festival Sens interdits porte à la connaissance du public lyonnais une violence qu’il a déjà abordée en 2015 avec un autre spectacle, le mémorable Acceso, première expérience théâtrale du réalisateur Pablo Larrain. Un personnage de jeune garçon des rues y disait sa souffrance, infligée notamment par le service national des mineurs, le Sename, qui gère orphelinats et centres de détention.
C’est dans l’un de ces lieux que se situe Feroz, dont les acteurs de 16 à 18 ans portent la parole de ces autres jeunes souvent maltraités. Dédiée à Lissette, décédée en 2017 à l’âge de 11 ans dans un centre pour mineurs, cette pièce s’ancre dans le réel d’une manière frontale. À Sens interdits, le théâtre refuse de se conformer à l’ordre établi. Et il « rétablit les mémoires occultées », dit Patrick Penot.
Space invaders, mis en scène par Marcelo Leonart à partir d’une nouvelle de Nona Fernández et joué aussi à Lyon le 13 octobre, témoigne de la volonté des Chiliens d’aujourd’hui de révéler au grand jour toutes les violences subies pendant la dictature de Pinochet. Quatre femmes d’âge mûr tentent de s’y souvenir de leur enfance. Elles questionnent ce qui leur reste du passé, comme le fait une autre artiste chilienne présente dans le festival : Paula González Seguel, qui explore les mécanismes de la violence subie par le peuple Mapuche au Chili depuis le XVIe siècle.
Ce sont là des retrouvailles : Patrick Penot l’avait déjà fait venir il y a plusieurs années, de même que d’autres artistes de cette édition qui compte 19 propositions – au lieu de 20, celle de Kirill Serebrennikov ayant été annulée pour des raisons que le directeur qualifie de « plus que discutables ». On retrouve par exemple l’artiste libanaise Chrystèle Khodr, qui revient avec Augures sur la vie théâtrale pendant la guerre civile du Liban. Un exemple de plus des théâtres que l’on découvre en allant à Sens interdits, où l’urgence se nourrit d’un retour sur le passé et ses blessures.