COP 26 : la fin du blabla ?
Tandis que les pays développés restent concentrés sur l’atténuation des effets de leurs modes de vie et de production sur le réchauffement climatique, les pays du Sud sont déjà dans l’urgence de s’y adapter. Des actions globales et universelles à la hauteur des enjeux sont attendues.
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Six ans après la signature en grande pompe de l’accord de Paris par 191 pays, il est temps de faire le bilan de ses promesses : limiter le réchauffement climatique « nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » d’ici à 2100 et « poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C ». En raison de la pandémie, les États ont eu une année supplémentaire pour revoir leurs ambitions climatiques à la hausse. Mais les plans de relance n’ont pas été aussi vertueux que prévu, la mondialisation effrénée a repris, et l’urgence climatique s’emballe toujours plus. « C’est comme si nous étions arrivés à la fin de l’examen, qu’il ne restait que les questions les plus difficiles et que nous manquions de temps, l’examen se terminant dans une demi-heure », a déclaré Alok Sharma, le président britannique de la COP 26 dans The Guardian.
« Nous avons un pouvoir immense. Nous pouvons soit sauver notre monde, soit condamner l’humanité à un avenir infernal », a renchéri Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies, donnant le ton pour la COP 26, qui se tient à Glasgow (Écosse) du 31 octobre au 12 novembre, considérée comme le rendez-vous le plus important depuis la COP 21 en 2015.
Si le premier bilan des actions aura lieu en 2023, l’un des objectifs de la COP 26 est de mettre en place un cadre commun d’évaluation. « Nous entrons dans la mise en œuvre de l’accord de Paris. Les discussions porteront sur les profils des évaluateurs. L’idée serait d’avoir plusieurs parties prenantes (sociétés civiles, think tanks, chercheurs, États…) et le tout serait centralisé par la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), explique Aurore Mathieu, responsable des politiques internationales au sein du Réseau action climat France. Se pose aussi la question des critères d’évaluation. Est-ce que ce sont des critères d’ambition, de transparence, d’équité ? Le plus important reste la manière dont les États alignent leurs ambitions sur le plan international avec des lois et réformes sectorielles sur le plan national. C’était par exemple l’idée de la loi climat et résilience en France, mais celle-ci ne permettra malheureusement pas d’atteindre nos objectifs climatiques. »
Selon la dernière évaluation des Nations unies, parue en septembre, les contributions déterminées au niveau national prises par les États ne sont ni complètes – seuls 113 pays ont révisé leurs engagements – ni à la hauteur, puisque l’ONU calcule une augmentation de 16 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2030 par rapport à 2010, alors qu’il faudrait les réduire de 40 %. Un scénario catastrophe qui mène la planète vers un réchauffement de 2,7 °C d’ici à la fin du siècle… Quelques bons élèves méritent tout de même des encouragements : l’Union européenne, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l’Argentine. Il y a aussi ceux qui tardent à fournir des plans plus ambitieux, dont la Chine, l’Inde, l’Arabie saoudite ou la Turquie, qui appartiennent au club des plus gros émetteurs de GES de la planète. Et ceux qui ont rendu leur copie mais n’ont pas compris la consigne, puisque leur plan s’en tient au statu quo ou est en recul ; citons notamment la Russie, le Brésil, l’Australie ou le Mexique.
La moitié la plus pauvre des pays n’est responsable que de 10 % des émissions.
Cependant, les annonces fixant un horizon pour atteindre la neutralité carbone fleurissent partout. Ainsi, l’Europe vise la neutralité carbone en 2050, l’Arabie saoudite et la Chine à l’horizon 2060. Le président chinois a annoncé que son pays cesserait de construire de nouvelles centrales à charbon à l’étranger mais n’a pas évoqué celles installées sur son sol. « Les annonces autour de la neutralité carbone en 2050 ou 2060 nous laissent sceptiques, car nous avons l’impression que ce sont des gains politiques assez faciles pour faire diversion. La science affirme qu’il faut réduire les émissions de CO2 dans les dix prochaines années pour être sur la bonne trajectoire, donc nous attendons des annonces de court terme », tempère Aurore Mathieu. Autre sujet épineux qui devrait animer les discussions de Glasgow : l’article 6 de l’accord de Paris concernant le fonctionnement des marchés carbone, permettant des échanges de tonnes de GES (lire pages 12 et 13). Un mécanisme qu’il est crucial de réguler, car 80 % des pays qui ont soumis une contribution veulent s’appuyer dessus pour atteindre leurs objectifs.
L’aide aux pays du Sud
Le nerf de toute guerre reste l’argent. « La finance climat est un des piliers de l’accord de Paris pour cimenter la confiance entre pays du Nord et du Sud, glisse Armelle Le Comte, responsable du plaidoyer climat et énergie à Oxfam France. C’est une question de justice climatique : la moitié la plus pauvre des pays n’est responsable que d’environ 10 % des émissions de GES, mais ce sont ces pays en développement qui sont les plus vulnérables aux impacts du changement climatique. »
Le succès de la COP 26 pourrait en grande partie dépendre de la volonté des pays développés d’honorer enfin leur promesse de mobiliser 100 milliards de dollars (environ 86 milliards d’euros) par an d’ici à 2020 pour aider les pays du Sud à faire face aux effets du dérèglement climatique. Une promesse faite en 2009, lors de la COP 15 à Copenhague… Selon le rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques portant sur les chiffres de 2019, il manque encore 20 milliards de dollars. Et seulement 25 % des sommes sont allouées à l’adaptation climatique, alors que l’accord de Paris souligne le besoin d’un équilibre entre adaptation et atténuation. Les tensions pourraient éclater, sous la pression des États insulaires du Pacifique et des Caraïbes, de ceux d’Afrique subsaharienne ou du Bangladesh, pour lesquels il s’agit désormais d’une question de survie. « De nombreux plans climat de pays en développement sont conditionnés à l’octroi de ces financements et de transferts de technologies. Pour qu’ils se développent de manière durable, en sautant la case des énergies fossiles, ces financements sont cruciaux », analyse Armelle Le Comte.
Autre source de discorde : la question des pertes et dommages irréversibles. Les pays subissant déjà des dégâts liés aux catastrophes climatiques demandent aux pays du Nord de débloquer un soutien financier additionnel aux 100 milliards de dollars… Quelques signaux encourageants sont à noter. Depuis 2015, les financements climatiques ont augmenté. Récemment, Joe Biden a annoncé que les États-Unis doubleraient les leurs d’ici à 2024 – même si ça ne suffira pas à combler le retard pris pendant la mandature Trump –, et la Nouvelle-Zélande va multiplier les siens par quatre. La plupart des ONG alertent sur l’aspect qualitatif de ces financements, car certains pays, dont la France et le Japon, prêtent cet argent, ce qui alourdit encore la dette des pays en développement.
Cobénéfices climatiques
L’urgence de la situation incite à remettre en lumière des sujets qui passent souvent au second plan. Un « plan d’action en faveur de l’égalité des sexes » avait été adopté à la COP 23 de Bonn en 2017 pour s’assurer que les femmes participent pleinement aux processus de négociation, et promouvoir des politiques climatiques égalitaires. Mais la traduction en actes concrets se fait attendre, notamment sur le plan financier.
« Ce plan permet de reconnaître que les impacts des changements climatiques sont destructeurs sur les populations féminines parce qu’elles ont moins de droits, un accès moindre à la terre, à l’eau, à un capital pour essayer de s’adapter, détaille Anne Barre, fondatrice de l’antenne française de l’ONG Women Engage for a Common Future. Et les politiques climatiques prennent rarement en compte la capacité d’action des femmes. » Dans l’agriculture, ce sont souvent des femmes qui assurent la sécurité alimentaire du pays quand les hommes migrent à cause des conflits ou des aléas climatiques, alors qu’elles peinent à accéder à la propriété terrienne. Anne Barre cite un exemple de politique avant-gardiste : les îles Marshall. « Dans leur politique énergétique visant un objectif de 100 % d’énergies renouvelables, elles ont intégré la formation d’au moins 20 % de femmes comme électriciennes ou ingénieures. »
Produire davantage d’énergies renouvelables peut éviter des conflits.
Penser, envisager, imaginer des politiques climatiques plus globales pourrait faire pencher la bascule du bon côté et transformer l’essai de l’accord de Paris. L’une des questions souvent mises de côté par ignorance ou intérêt est celle des cobénéfices climatiques. « On ne parle pas souvent des avantages qu’on tire des politiques climatiques, alors que c’est du concret. Par exemple, détaille Sandrine Mathy, directrice de recherches au CNRS et économiste de l’environnement, produire davantage d’énergies renouvelables peut améliorer la sécurité énergétique, diminuer la précarité énergétique, stabiliser les prix, éviter des conflits dans certains pays… Autre exemple : diminuer les déplacements en voiture diminue aussi le bruit et la pollution, peut augmenter la marche ou le vélo et les bénéfices sur la santé des populations. Sans oublier les cobénéfices sur la biodiversité, qui est un enjeu extrêmement important : des actions sur la reforestation, la protection des forêts peuvent avoir des impacts sur les sols, sur les plantes pour la médecine, sur lespeuples indigènes… » « Les premiers travaux de recherche sur ce sujet montrent qu’en prenant en compte les cobénéfices des politiques climatiques, ces derniers sont supérieurs au coût de la décarbonation », ajoute-t-elle.
La lassitude à l’orée de ces conférences climat qui s’enchaînent chaque année sans débouché concret n’est plus un secret. Cependant, la dimension universelle de l’accord de Paris donne quelques espoirs. Pour Sandrine Mathy, la COP 21 a aussi permis une « inversion du paradigme » permettant aux pays de proposer eux-mêmes leurs objectifs en fonction de leurs priorités nationales (en termes d’environnement, de priorités socio-économiques, de sécurité énergétique, de commerce international…). « Avant, le climat était déconnecté des autres enjeux planétaires, donc le partage des coûts de réduction des émissions de GES était perçu comme un fardeau pour les économies. D’où l’échec de Copenhague en 2009 », raconte-t-elle. Les ONG persistent à se rendre aux COP pour porter la voix de celles et ceux rarement entendus, ou absents, en particulier cette année. Les craintes liées au covid-19 et les coûts exorbitants des hébergements compliquent en effet la venue de certaines délégations des pays du Sud.
« Face aux limites des COP, il faut se concentrer sur la mise en œuvre des stratégies climat dans chaque pays. La pression des citoyens dans chaque État est déterminante ! Et notamment en France, puisqu’on entre dans une période d’élection présidentielle et de présidence de l’Union européenne en janvier 2022 », souligne Armelle Le Comte. Une journée mondiale d’action pour la justice climatique est prévue dans de nombreux pays le 6 novembre afin de remplir trois missions : nommer les principaux dirigeants responsables de l’inaction climatique, dénoncer l’inaction climatique comme crime contre l’humanité en soutien aux peuples autochtones et aux pays du Sud, et appeler à l’action pour montrer que les liens existent entre l’international et le local.