« En tant que journaliste, ce n’est pas être militant que de parler d’écologie »
Sur le climat, les journalistes ont une responsabilité, estime Olivier Aballain, selon qui la profession doit évoluer.
dans l’hebdo N° 1674 Acheter ce numéro
Journaliste et formateur à l’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ), où il est responsable du master Climat et médias, élaboré avec des chercheurs de l’université Paris-Saclay, Olivier Aballain a assisté aux tables rondes des Assises du journalisme de Tours sur ce sujet.
Qu’avez-vous pensé des débats auxquels vous avez pu assister, et notamment ceux qui portaient sur la responsabilité des journalistes quant au traitement de la crise climatique ?
Olivier Aballain : Je trouve qu’on confond ce qu’on appelle l’« engagement » et la raison d’être du journalisme. Je pense qu’un journaliste qui n’entend pas influer sur l’actualité et pousser des sujets qui lui semblent intellectuellement prioritaires, par exemple autour de la question climatique, n’est pas vraiment un journaliste. Ce n’est pas être militant que de faire en sorte de préparer la société à affronter un défi qui est déjà là, qui a déjà un effet important et qui risque de se démultiplier dans les dix prochaines années.
Des journalistes se sont engagés dans la lutte pour l’alphabétisation. C’est une forme d’engagement qui a été assez naturellement assumée par les journalistes français… Mais, dès qu’on parle d’environnement, il faudrait être hyper neutre et attendre que le sujet s’impose à nous. Résultat, on n’en parle que quand il y a une catastrophe, alors que le reste du temps la pollution est quand même là, le réchauffement climatique demeure une réalité déjà vécue de façon destructrice, même en France. C’est là-dessus que la profession doit évoluer. Pour cela, on a besoin de connaissances, pour ne pas assommer le public avec une répétition d’informations qui n’explorent pas le fond des choses. On ne peut pas, à chaque épisode pluvieux catastrophique, dire « oh, il pleut ». Ça n’est pas suffisant. Il faut expliquer pourquoi il pleut, quelles sont les conséquences… Il faut chercher des angles différents, rencontrer des personnes qui agissent. Sauf que, pour cela, il faut un minimum de connaissances, et donc effectuer des recherches. On n’a aucune difficulté à le faire pour le droit, donc pourquoi ne pas le faire sur le climat ?
Vous êtes responsable d’une formation consacrée aux rapports entre climat et médias. Comment s’est passée la création de ce master ?
Le projet est né d’une discussion entre le directeur de l’ESJ et des chercheurs de Saclay très en pointe sur les sciences du climat, qui ressentaient une grande frustration à l’idée que les connaissances produites sur le changement climatique et ses enjeux ne soient pas à l’agenda des médias. Ces chercheurs se demandaient : « Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? »
Cette réflexion a conduit à des discussions avec l’ESJ, pour permettre de parler du climat de façon plus pertinente et faire en sorte que les rédactions se mobilisent sur ces questions. L’engagement des journalistes n’est pas forcément politique, c’est une volonté de pousser des sujets qui paraissent pertinents et prioritaires.
Une phrase est revenue plusieurs fois dans les débats aux assises, à chaque fois qu’un engagement des journalistes pour le climat était évoqué : « On ne peut pas trop s’engager, sinon autant appeler à voter pour les Verts. » Qu’en pensez-vous ?
Poser la question du climat uniquement autour de l’échiquier politique français, c’est une limite. L’écologie n’est pas une chasse gardée. La question environnementale est un thème d’actualité. C’est une réalité, comme le sont l’économie ou les thématiques sociales, dont on doit parler. Je suis un peu effaré de voir qu’on en est encore là. Dans un débat des assises, on découvrait qu’un certain grand journal du soir estime que vouloir parler davantage d’environnement, c’est prendre un engagement politique. J’ai entendu un rédacteur en chef estimer que le rôle des journalistes n’était pas de pousser les actualités, et que si l’immigration faisait l’actualité, il ne fallait parler que de ça, comme si le journalisme ne faisait pas lui-même l’actualité et n’avait pas une responsabilité là-dessus. Je me demande alors à quoi sert le journalisme dans ces conditions. Et je ne comprends pas pourquoi on ne parle que des Verts quand on parle d’environnement : ce n’est pas le sujet, et encore moins dans un débat entre journalistes.
Si on estime que le journalisme n’a pas à être militant, ce qui est déjà interrogeable, je ne vois pas du tout en quoi ça empêche de parler d’environnement. C’est juste le reliquat d’une pensée des années 1980 selon laquelle le journalisme pouvait être objectif et neutre. Comme si on ne faisait pas tous les jours des choix quant aux sujets que l’on met en avant et aux personnes qu’on interroge. L’objectivité journalistique, ça n’existe pas.