Éric Zemmour, la haine de soi au service de l’extrême droite
Pour l’anthropologue, Jean-Loup Amselle, ce n’est qu’en refoulant totalement son origine, et en se distinguant radicalement de ceux qui ont la même origine que lui, que le polémiste peut avoir l’illusion d’une adhésion intemporelle à l’ethnicité française.
La période actuelle est fréquemment comparée aux années 1930 et à la situation qui prévalait dans l’entre deux guerres, période qui a vu fleurir l’extrême droite. Pourtant une différence essentielle oppose ces deux séquences temporelles. En effet les idées d’extrême droite des années 1930 étaient défendues exclusivement par des membres du groupe dominant, les discriminés, non seulement, ne participant en aucune manière à la diffusion d’une idéologie raciste mais étant au contraire les premières victimes de ces campagnes nauséabondes. Un seul exemple illustre bien les différences avec la période actuelle : le sobriquet infâme de Léon Karfunkelstein dont Léon Blum avait été affublé par l’extrême droite et destiné à lui dénier sa qualité de citoyen français en le renvoyant à une extranéité imaginaire.
À l’inverse, ce qui frappe actuellement c’est l’adhésion de certains discriminés à une idéologie d’extrême droite d’inspiration raciste. Certes la vieille droite antisémite continue de sévir avec des personnages comme Renaud Camus, mais au sein de cette mouvance interviennent également des acteurs que l’on ne se serait pas attendus à y trouver.
Il est surprenant à cet égard que ceux qui ont critiqué les idées d’Éric Zemmour aient omis de rapprocher son profil de celui de Dieudonné. Pourtant, tous deux sont issus de groupes discriminés, tous deux sont proches de l’extrême droite et en particulier de Jean-Marie Le Pen, voire de Marion Maréchal pour Éric Zemmour, tous deux sont à des titres divers antisémites ou proches des thèses antisémites.
Dieudonné est ce que l’on pourrait appeler le représentant, pour paraphraser August Bebel, d’un anti-impérialisme des imbéciles qui a transféré sa critique justifiée de la France coloniale en un antisémitisme reposant sur le principe du « deux poids-deux mesures ». Dans une veine désormais classique, il s’est étonné du crédit accordé à la commémoration de la Shoah comparée à l’oubli manifesté par la France à l’égard de ses crimes coloniaux.
Éric Zemmour bien qu’étant le fils d’une famille de juifs immigrés originaires d’Algérie, se définit comme un « Français d’origine berbère », voire un « Français de branche » (sic) tout en occultant son appartenance au judaïsme. Cette occultation aurait dû surprendre les analystes de sa pensée, et même inquiéter les organisations juives mais il n’en a rien été. Au contraire, Jean-Marie Le Pen loue sa qualité de juif qui selon lui est une façon d’échapper aux idées qu’il défend lui-même sans être taxé de fasciste ou de nazi.
De « Berbère juif », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Julien Cohen-Lacassagne (1), Éric Zemmour dont la famille a été naturalisée par le décret Crémieux (1870), est donc devenu un Français d’origine berbère ou un Français de branche. Mais quelle que soit l’identité qu’il s’attribue, on a le sentiment que cette identité est fragile, peut-être parce qu’elle a été retirée aux juifs français d’Algérie par le régime de Pétain, régime que paradoxalement il porte aux nues en lui accordant le rôle de sauveteur des juifs français.
Un raté de l’assimilation
Ce sentiment de fragilité par rapport à son appartenance à la nationalité française a sans doute conduit Éric Zemmour a surinvestir l’identité française en lui faisant gommer l’origine immigrée de sa famille et la proximité culturelle sinon religieuse qui pouvait exister entre celle-ci et les Algériens musulmans. Ayant quitté l’Algérie, sa famille a donné naissance en France à un rejeton qui a été amené à vivre dans un pays où vivent désormais de nombreux Français musulmans d’origine maghrébine. Il semble vivre cette situation comme la répétition d’une histoire : celle d’un encerclement qui l’empêche de vivre pleinement sa participation à l’identité française. D’où son adhésion à la thèse du « grand remplacement », c’est-à-dire précisément celle d’une perte d’identité.
« Plus français que moi tu meurs », telle est la devise implicite que jette Zemmour à la face des autres Français coupables selon lui de laisser dissoudre leur identité dans une culture étrangère, celle de l’islam. En réalité, le parcours idéologique d’Éric Zemmour est celui d’une quête tragique manifestant l’impossibilité pour lui de se sentir pleinement Français, d’adhérer pleinement à une « essence française » sans s’opposer à l’islam. Ce n’est qu’en refoulant totalement son origine, en pratiquant la « haine de soi » et en se distinguant radicalement de ceux qui ont la même origine que lui, et dont il est le plus proche, qu’il peut avoir l’illusion d’une adhésion intemporelle à l’ethnicité française. Il y a quelque chose de pathétique chez Zemmour, en tant qu’il est paradoxalement un raté de l’assimilation, tout comme il est également en quelque sorte un raté de la promotion sociale puisqu’il échoué deux fois au concours de l’ENA.
Ses diverses provocations contre l’islam, contre les femmes ou en faveur de la colonisation et du régime de Vichy ne sont d’une certaine manière que des formes de revanche sur son impossibilité à être ce qu’il aurait sans doute voulu être : un membre de la « noblesse d’Etat » pour reprendre l’expression de P. Bourdieu. Zemmour est en quelque sorte un « parvenu » de l’identité, qui a refoulé tous ses échecs et les a transformés et magnifiés en en offrant une figure grimaçante, celle d’un fascisme à la française. Il y a certainement, chez Zemmour, comme chez tous ce genre de personnages, un aspect pathologique qui rappelle à certains égards d’autres figures des époques passées. Mais notre époque a ceci de particulier que les idées d’extrême-droite ne sont plus défendues uniquement par ceux qui s’estiment être les détenteurs légitimes du capital culturel mais aussi par ceux que la machine étatique n’a pas véritablement réussi à assimiler. En ce sens, le cas Zemmour manifeste bien les faiblesses du modèle français de l’assimilation.
(1) Julien Cohen-Lacassagne, Berbères juifs. L’émergence du monothéisme en Afrique du nord, La Fabrique, 2020.
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