Le travail au prisme de l’écologie politique
Faut-il subordonner le social à l’écologie ou bien rendre cohérents entre eux les deux impératifs ?
dans l’hebdo N° 1677 Acheter ce numéro
Pourquoi le travail est-il malmené par les penseurs de l’écologie politique alors que son alliance avec la problématique écologique est la clé du dépassement du capitalisme productiviste ? La première raison de fond est que le « travail vivant » possède deux dimensions. Comme il produit les biens et services nécessaires à la vie, le capitalisme le soumet à sa norme de rentabilité ; or l’écologie politique a le plus grand mal à penser le capitalisme et son processus de valorisation perpétuel. Et, malgré la domination qu’il subit, le travail est producteur de soi et facteur de reconnaissance sociale, au point que les travailleurs sont toujours en quête du sens de leur activité ; or l’écologie politique semble réticente vis-à-vis de l’idée de socialisation par le travail.
Cette double méprise conduit à la confusion entre la « valeur-travail » (théorie qui situe la source de la valeur économique dans le travail) et la « valeur travail » (le travail érigé en valeur philosophique). Les idéologues du capitalisme nient le travail comme seule source de la valeur, mais ils vantent les vertus morales de travailler et fustigent ceux qui se soustrairaient à cette obligation (pensons aux diatribes contre les chômeurs prétendument volontaires et à la réforme de l’assurance-chômage). Sous prétexte de cette mystification, beaucoup de penseurs hétérodoxes récusent la théorie de la valeur-travail et s’abandonnent au mirage de la fin du travail. Et, à mesure que le travail est nié dans toutes ses dimensions, le capital est décliné tous azimuts : le « capital naturel » s’additionnant avec le capital financier, le capital humain et le capital social.
Pour les uns, le « capital naturel » crée de la valeur (Christian de Perthuis et Pierre-André Jouvet, économistes écologistes ; Pavan Sukhdev, président de WWF). D’autres veulent rompre le lien entre travail et revenu (Philippe Van Parijs, Jérôme Gleizes et tous les partisans du revenu d’existence), ce qui est impossible au niveau global, et oublient le concept de Marx de « force de travail », dont le salaire n’équivaut jamais à la valeur qu’elle crée.
Avec la révolution numérique s’ouvre une nouvelle page de la brutalisation du travail et de sa négation en tant que travail vivant. Quelques essayistes prétendent que, désormais, la valeur descend du « cloud », nouvelle croyance magique méconnaissant le capitalisme de rente, ou bien que le consommateur a remplacé le travailleur comme producteur, en omettant les travailleurs de plateformes, les ubérisés et les premiers de corvée.
Souvent, les mêmes arguent d’une prétendue différence entre travail et emploi et du remplacement du travail par l’activité. Or l’emploi, salarié ou non, est la forme institutionnelle dans laquelle s’exerce le travail. Et ce sont l’OCDE et tous les chantres du néolibéralisme qui, dans les années 1980-1990, ont théorisé que l’activité remplacerait le travail, afin d’entériner la baisse des droits sociaux attachés à l’emploi. Parce que l’humanité s’insère dans la biosphère, faut-il subordonner le social à l’écologie, qui surplomberait tout, ou bien faut-il rendre cohérents entre eux les deux impératifs ? L’écologie surplombant le social ne serait que le miroir inversé de l’erreur antérieure.
Par Jean-Marie Harribey Membre du conseil scientifique d’Attac.
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