Louis M., l’insaisissable
À la fois convaincu et menteur, artificier un jour, propagandiste un autre, Louis M. tient une place peu claire au sein de l’OAS. Il est condamné à cinq ans de prison dont deux avec sursis et échappe à la réincarcération.
C’est l’énigme de ce procès. Louis M., 24 ans – 20 au moment des faits – navigue avec une certaine aisance dans les couloirs du palais. Il est à la fois au cœur du projet et en périphérie. Des échanges datés de novembre 2015 avec Logan N., attestent de sa connaissance de la refonte de l’OAS. Les deux compères, qui se connaissent depuis juin 2014, discutent même de leur tentative de fabriquer des explosifs – du TATP. Louis dit n’avoir pas voulu mettre à exécution la recette du Tatp parce qu’il a _« vu des mecs s’exploser les mains », avec ce mélange très instable.
Décrit comme un petit chimiste en herbe, il s’amuse à faire péter quelques bouteilles en forêt, en mélangeant des pochons d’aluminium avec de l’acide ce qui crée un gaz, qui, enfermé dans une bouteille, produit une pression et au bout d’un moment, une petite explosion. Rien qui ne soit cependant considéré comme de l’explosif à proprement parler. Pourtant, la procédure judiciaire ne court qu’à partir du 1er novembre 2016 : les échanges précédents cette date ne peuvent participer à constituer l’infraction. Louis passe entre les gouttes.
Car cet habitant de Perpignan, est certes, loin du reste du groupe : il ne participe ni aux entraînements, ni à la ratonnade, ni aux commémorations de l’ADIMAD, ni même aux cérémonies de remise des bérets. Il n’a même pas rempli de fiche d’inscription à l’OAS, comme les autres. Mais cet ancien membre du MPNA – mouvement néonazi co-créé par Logan N. – est le trésorier de l’association vitrine de l’OAS : Occitan Squad. Il communique régulièrement avec Thomas et Logan, qu’il prétend ne jamais avoir rencontré. L’arrestation de ce dernier va cependant provoquer des échanges intenses avec une partie de son entourage, qui sous entendent un passage à l’acte imminent. Devant le juge, droit, les mains croisés derrière le dos comme un soldat au repos, il réfute une volonté de passage à l’acte violent même si dans l’absolu il reconnaît ne pas y être opposé : _« Profaner des stèles ou attaquer un chantier et par conséquent, ne faire que des dégâts matériels ça ne me posait pas de problème. » Est-ce le phénomène de cloisonnement qui produit ses effets ou Louis M. était-il réellement « à part » ? Difficile à dire.
Escroqueries
D’autant que le profil du jeune homme détonne. Doté d’un « fort potentiel intellectuel » notent les psychologues, ce benjamin d’une fratrie de trois, a grandi dans une famille séparée – sa mère est sans emploi et son père chauffeur-livreur –, acquise aux idéologies d’extrême droite. Louis suit une scolarité sans problème. Mais il s’ennuie. Alors, pour se distraire et se faire un peu d’argent, il monte des escroqueries et participe à des trafics de stupéfiants. Une activité paradoxale pour ce membre d’un groupe qui voulait s’attaquer aux « dealers », aux « racailles »…
Dès ses 14 ans, Louis anime un blog néonazi grâce auquel il escroque les adhérents en utilisant sa fine connaissance des ressorts de l’extrême droite. Dans son ordinateur sont retrouvées plusieurs vidéos incitant à la haine raciale : « C’était pour recruter, je m’adressais à l’extrême droite je savais quoi faire pour **les choquer** et les inciter à me rejoindre. Je leur faisais croire qu’il y aurait bientôt **un coup d’État** et je les faisais payer pour **financer** ce nouvel État », explique-t-il à la barre. Le fait de gagner de l’argent facilement et rapidement le conduit à un fort sentiment d’impunité, disent les psychologues. « C’est un engrenage, admet-il. Une fois que vous avez mis le doigt dedans… »
Malgré tout cela, ce jeune prodige obtient son bac scientifique avec mention bien mais sa mère, chez qui il vit, quitte la France pour l’Espagne avec son compagnon. Louis s’installe seul dans un studio. Il a 17 ans. C’est là que les crises d’angoisse commencent et semblent entraver son parcours scolaire. Il tente une prépa, mais arrête. La gendarmerie, mais il lâche. Il entre alors en première année de licence informatique à l‘université et finit par stopper complètement ses études en avril 2017, sans diplôme. Attiré par « l’ordre et la discipline », dit-il, il entre alors à l’école des sous-officiers de l’armée de l’air mais là encore, il la quitte au bout de trois mois. Les crises d’angoisses sont trop dures à contenir. Il n’ose pas l’avouer à ses parents et s’installe chez un ami.
Laver les cerveaux
Louis est un solitaire, passionné d’informatique… et de manipulation. Pour se remettre de ses échecs et gagner un peu sa vie, il monte un projet de logiciel d’escroquerie via une crypto-monnaie. Les techniques de communication de Daech le fascine : les policiers retrouvent sur son ordinateur, au côté d’extraits de Mein Kampf, une vidéo des frères Clain intitulée : « Tends ta main pour l’allégeance. » Il est même abonné à l’agence de communication de groupe djihadiste. « Je souhaitais m’en inspirer : c’est de la psychologie », explique-t-il avec une grande sérénité.
Celui qui dit avoir été « recruté pour laver les cerveaux » est interpellé le 10 octobre 2017 et maintenu en détention pendant une dizaine de mois. La psychologue qu’il rencontre en 2019 note sa « tendance au mensonge et la fabulation » : « il semble s’inscrire dans une compulsion mythomane dans laquelle il dit éprouver du plaisir ». Un fonctionnement « pathologique qui dépasse le cadre du mensonge ordinaire ». Il le reconnaît à la barre tout en clamant vouloir sortir du « cercle vicieux du mensonge ».
Dans divers rapports, le SPIP exprime son inquiétude. Il remarque d’abord chez Louis, une « vraie propension à la délinquance et la manipulation ». En 2019, il parle d’une « tendance sociopathique » et d’une « absence totale de sens moral ». On découvre à l’occasion du procès que Louis exploite le sentiment amoureux de son seul ami, Jérémy, pour que ce dernier l’héberge. « C’était quelqu’un de fragile », admet-il.
En 2020, le psychologue du binôme de soutien assure que Louis ne présente pas un risque de passage à l’acte, même si « rien n’indique qu’il veuille se dégager ou rejeter son idéologie », parlant même de « sur adaptation » au cadre dans le but de renvoyer une « image positive ». Mais pour le SPIP, si le potentiel de ce jeune homme était « mis au service d’une cause licite, il pourrait se révéler être un élément fort pour une société, équipe ou institution ».
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