Pour un pôle public des médicaments
Face à la menace d’une rupture d’approvisionnement sur certaines molécules essentielles, une solution : relocaliser.
dans l’hebdo N° 1674 Acheter ce numéro
Lors des premiers mois de l’épidémie de coronavirus en France, au printemps 2020, les services de réanimation des hôpitaux ont peiné à se procurer les médicaments sédatifs et antidouleur nécessaires aux malades. « À cause de cette pénurie, pendant la première vague du covid, ces médicaments ont été utilisés en priorité dans les unités covid et remplacés en Ehpad par du Valium ou des formules vétérinaires des sédatifs, rappelle Pauline Londeix, cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament (OTMeds), une association créée en 2019 par des anciens d’Act Up. Nous avions demandé alors au gouvernement de lancer une production publique de ces curares, nous n’avions pas eu de réponse. Aujourd’hui, le gouvernement admet qu’il a essayé d’en faire produire dans les hôpitaux. »
En effet, dans l’avant-projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022, le gouvernement écrit que, « lors de la crise, les établissements publics se sont mobilisés avec des sous-traitants privés pour produire en urgence des médicaments critiques ».C’est donc que, finalement, une production publique de médicaments est possible. Pour les militants d’OTMeds, c’est aussi nécessaire. Ce 1er octobre, ils publiaient un rapport, avec le soutien du groupe La Gauche au Parlement européen (GUE-NGL), pour la « relocalisation de l’industrie pharmaceutique en Europe et dans les États membres ».
« La question de la capacité de l’État à organiser un secteur public du médicament doit être posée. Car, aujourd’hui, 80 % des principes actifs des médicaments sont produits hors de l’Union européenne, principalement dans des pays asiatiques, a souligné Manuel Bompard, député LFI au Parlement européen, lors de la présentation du rapport. Le phénomène des pénuries de médicaments est en hausse continue depuis des années, aussi parce que les firmes pharmaceutiques pratiquent la production à flux tendus pour éviter le coût des stocks. » Pour le député, « en aucun cas la relocalisation ne doit se faire en laissant les mains libres aux industriels ».
80 % des principes actifs sont produits hors de l’UE.
OTMeds formule une série de propositions pour une relocalisation guidée par l’intérêt général : cartographier la production européenne des différents médicaments ; cartographier les investissements réalisés par les États, l’Union européenne et les entreprises pharmaceutiques privées, pour évaluer la balance de l’argent public injecté dans le secteur ; améliorer la gestion des stocks pour éviter des situations de pénurie comme au printemps 2020 ; avoir une règle de base : qu’un même médicament soit produit au moins dans trois pays différents, pour éviter les ruptures d’approvisionnement en cas de crise dans un territoire ; réformer les critères des brevets pour faciliter la production publique quand c’est nécessaire. « Les industriels disent que les brevets sont légitimés par la prise de risque, mais c’est de l’argent public qui assume aujourd’hui l’essentiel de ce risque, pointe Jérôme Martin, d’OTMeds. L’innovation, elle est aujourd’hui du côté de la recherche publique. Si on met de l’argent public, pourquoi ne pas tenter une production publique ? »
OTMeds prend l’exemple du Brésil, qui a mis en place dans les années 1990 une politique nationale du médicament et lancé une production publique pour répondre aux besoins du système de santé. « Au Brésil, on voit que la production publique a fait baisser les prix », indique Pauline Londeix. Aux États-Unis, une fondation, Open Insulin, a développé un projet de production locale d’insuline à petite échelle et hors du secteur privé. La gouvernance de la fondation est assurée par des chercheurs mais aussi par des personnes atteintes de diabète. En Europe, les Pays-Bas ont mis en œuvre une production publique de certains médicaments dans les laboratoires de leurs hôpitaux quand les labos privés voulaient quintupler les prix des produits du jour au lendemain.
« Tout le monde parle de relocalisation aujourd’hui, mais toutes les relocalisations ne veulent pas dire la même chose, ajoute Manuel Bompard. Nous voulons une relocalisation qui s’appuie sur un pôle public du médicament, et cela ne veut pas dire qu’on nationalise toute la production. » L’enjeu de l’accès aux médicaments était devenu visible dans le monde entier avec la pandémie de VIH. Il s’est posé à nouveau en Europe ces dernières années avec des médicaments vendus une fortune par les laboratoires, comme le Sovaldi contre l’hépatite C. Le covid a encore une fois rebattu les cartes. « Derrière les questions industrielles se cachent des questions d’éthique et de droit à la santé », insiste Pauline Londeix.
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