Prix de l’énergie : Le coût de l’impréparation
Avec le scénario d’une hausse des prix de l’énergie frappant les plus précaires, on découvre les lacunes du marché des quotas d’émission et les gouvernements sont contraints d’éponger.
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Panique au palais ! Alors que les prix des carburants atteignent des records, c’est le spectre d’une crise sociale en pleine campagne électorale qui ressurgit. L’exceptionnelle envolée des prix du gaz, de l’électricité et du pétrole a contraint le gouvernement Castex à sortir le carnet de chèques, le 21 octobre, pour annoncer une « prime inflation » de 100 euros par mois pour les 38 millions de Français qui gagnent moins de 2 000 euros, un gel des prix du gaz en 2022 et une baisse des taxes sur l’électricité. Au total, 6,2 milliards d’euros d’argent public serviront à panser ces fluctuations des prix de l’énergie. Un immense paradoxe, car le renchérissement des énergies fossiles est justement pensé comme l’élément clé des États pour atteindre leurs objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
L’Europe a en effet mis sur pied une bourse des « permis à polluer » dont le but est de rendre la tonne de carbone rejetée de plus en plus chère. Sur ce marché, les États offrent ou vendent chaque année un quota de droits à polluer aux industriels. Le mécanisme est resté longtemps totalement inopérant en raison d’une offre surabondante de quotas gratuits. Il a même alimenté un commerce ubuesque, certaines multinationales ayant pu revendre les quotas qu’elles avaient obtenus gratuitement. Mais pour la première fois, ces derniers mois, les prix grimpent. À tel point que le tarif d’une tonne de CO2 a doublé depuis début 2021.
Polluer devient coûteux, parce que les pays ont réduit la quantité de quotas disponibles et encadré de manière plus ambitieuse le fonctionnement complexe de ce marché. Ce phénomène est par ailleurs accentué par l’explosion récente du prix du gaz : pour la compenser, une partie des producteurs d’électricité se sont remis à faire turbiner des centrales à charbon. Ils ont donc dû acquérir davantage de droits à polluer, faisant grimper la demande et donc les prix.
À son pic de 60 euros la tonne aujourd’hui, le prix du carbone devient significatif dans le compte des industriels et la facture des particuliers. À long terme, cette nouvelle réalité économique est une bonne nouvelle, car elle rend les énergies renouvelables plus « compétitives ». L’urgence est de taille : il faudrait doubler les investissements dans le secteur de l’énergie pour espérer atteindre l’objectif de zéro émission nette en 2050.
La Commission européenne souhaite donc accélérer, en continuant de baisser brutalement la quantité de quotas de carbone (-55 % d’ici à 2030 par rapport à 1990), et en intégrant le transport routier et le chauffage des bâtiments dans ce marché des droits à polluer, dont ils étaient jusqu’à présent exempts. Ce projet présenté en juillet promet un prix de la tonne de CO2 durablement autour des 100 euros, estime l’agence Bloomberg.
Mais la proposition de Bruxelles a soulevé d’énormes réticences des États membres, parce que personne n’a suffisamment anticipé une hausse rapide et durable du prix du carbone. Faute d’alternative, la cherté sera reportée sur les factures des particuliers, comme le démontre cruellement l’épisode actuel de flambée des prix.
Pour ne pas avoir voulu prévoir, les États se retrouvent donc contraints d’éponger. À l’image de la France, qui a au moins fait le choix de l’équité en concentrant l’effort économique du gouvernement sur les moins riches. Ces politiques redistributives d’un nouveau genre devraient donc se banaliser dans un contexte de carbone cher. Pour les financer, les États peuvent en théorie compter sur les fruits de la vente aux enchères des quotas d’émission de CO2. Dans sa réforme du marché des droits à polluer, la Commission européenne table sur une recette de 145 milliards d’euros annuelle. La réalisation d’un tel projet reste une question de volonté politique…
Mais au-delà de ces enjeux pécuniaires, l’impréparation des États européens révèle aussi le profond dysfonctionnement des marchés de l’énergie. Les trop grandes fluctuations du marché de l’électricité, qui a été ouvert à la concurrence de manière très artificielle à l’échelle européenne depuis trente ans, dissuadent les investisseurs qui n’ont pas suffisamment de visibilité (1). C’est l’autre leçon de la crise actuelle : les mécanismes du marché sont capricieux et n’ont aucune vision de l’avenir.
(1) Lire Politisn° 1629, 25 novembre 2020 : « La calamiteuse histoire d’EDF et de sa concurrence ».