À Bordeaux, les « paysans designers » sèment les germes du renouveau

Les nouvelles pratiques en matière d’agriculture contribuent à remodeler le monde. Un musée de Bordeaux met à l’honneur les « paysans designers » qui s’y emploient. Original et stimulant.

Jérôme Provençal  • 24 novembre 2021
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À Bordeaux, les « paysans designers » sèment les germes du renouveau
© Rodolphe Escher

Arrivée en 2013 à la tête du Musée des arts décoratifs de Bordeaux, Constance Rubini l’a transformé en Musée des arts décoratifs et du design (Madd), avec la volonté affirmée d’en faire l’un des lieux majeurs dévolus à la culture du design en France. Depuis, elle y développe un programme ambitieux, davantage inscrit dans le champ contemporain, qui tend à revaloriser les collections du musée et propose en parallèle des expositions temporaires (deux par an). Outre son bâtiment principal, l’hôtel de Lalande, un majestueux hôtel particulier datant du XVIIIe siècle, le Madd peut utiliser depuis 2016 un autre espace d’exposition, situé derrière et aménagé entre les murs d’une ancienne prison.

C’est dans ce second bâtiment, aux pierres grises -chargées -d’histoire, que l’on peut voir actuellement « Paysans designers, l’agriculture en mouvement ». Résultant d’un long travail de recherche, cette exposition remarquable à l’intitulé un brin malicieux a été conçue par Constance Rubini avec l’aide d’Étienne -Tornier (conservateur au Madd) et le soutien d’un comité scientifique composé notamment du designer François Bauchet, du paysan chercheur Félix Noblia (vice-président de l’association Fermes d’avenir) et du cinéaste Dominique Marchais. Originale et stimulante, tant sur le fond que dans la mise en forme, elle s’attache à présenter de nouvelles pratiques en matière d’agriculture, plus respectueuses du vivant et de la biodiversité, qui contribuent à modeler autrement le monde dans lequel nous vivons.

Juste après l’entrée, l’on aborde l’exposition par un -couloir dont les deux murs sont ornés de portraits photographiques en noir et blanc de personnalités tutélaires ayant œuvré par le passé en faveur de la nature et du vivant. Y figurent notamment l’agronome et homme politique français René Dumont, la biologiste américaine Rachel Louise Carson (auteure de Printemps silencieux, livre fondateur sur les pesticides), le philosophe autrichien Rudolf Steiner (précurseur de la biodynamie) ou encore la physicienne indienne Vandana Shiva (pionnière de l’écoféminisme).

Deux spacieuses cours intérieures se trouvent de chaque côté de ce couloir introductif. La première – dans le sens de la visite – met en exergue plusieurs paysans d’aujourd’hui adeptes de l’agro-écologie. En France, au Brésil, en Autriche ou au Burkina Faso, ils creusent leur sillon hors des sentiers battus et expérimentent des processus de production en phase avec tout l’écosystème. Citons par exemple Perrine et Charles Hervé-Gruyer, responsables de la ferme du Bec-Hellouin, dans l’Eure, créée en 2004 et devenue une référence dans le domaine de la -permaculture.

Conjuguant savoirs anciens et technologies modernes, ces agriculteurs d’un nouveau genre se connectent les uns avec les autres – grâce en particulier à Internet – et se communiquent leurs expériences. On les découvre au travers de petits textes et de divers documents visuels parsemés dans la cour. Touches de verdure idoines, plusieurs jardinières s’intègrent à l’ensemble et font germer le vivant au cœur même de l’exposition.

La seconde cour se scinde en deux espaces distincts. L’un est consacré aux nouveaux outils emblématiques des pratiques agroécologiques. Disposés dans un grand bac rempli de terre, quelques-uns de ces outils aux noms souvent savoureux (grelinette, campagnolle, presse-mottes, landau de plantation, tarière gouge…) apparaissent ici tandis que des outils plus classiques se dressent en arrière-plan, suspendus en séries sur des cloisons orange foncé.

L’autre espace accueille « Real Facts »,une création collective élaborée – à l’invitation du Madd – par des élèves de l’École cantonale d’art de Lausanne (Ecal), prestigieuse structure de formation dans la sphère du design, sous la conduite des designers Erwan Bouroullec et Adrien Rovero. Elleconsiste principalement en un ensemble de sculptures incongrues faites à partir de matériaux ou d’objets hétéroclites provenant du monde agricole ou de la vie quotidienne. Empreinte d’une douce dinguerie, cette vision très libre de la ferme d’aujourd’hui s’accompagne de documents textuels et visuels. Y jaillissent des éclats de réel, imparables, parmi lesquels celui-ci : « On ne peut pas se permettre de prendre de vacances parce que la nature ne prend pas de pause. »

Situées autour des deux cours, treize petites salles complètent le parcours, chacune étant consacrée à une thématique ou une approche spécifiques. Via en particulier de superbes photos aériennes de terres cultivées prises par Georg Gerster en 1972 pour le compte de la compagnie Swiss Air, la salle « Dessiner le paysage » montre bien à quel point l’agriculture peut façonner la nature.

Hérissée d’épis de blé, de seigle et d’épeautre, la salle « Les semences, héritage vivant » – sans doute la plus saisissante – souligne l’importance cruciale des semences, ces biens naturels devenus des produits marchands, dans le développement de nouvelles pratiques agricoles. Immersive, une autre salle nous plonge dans « Une journée en temps réel avec Félix Noblia », novateur agriculteur qui, équipé d’une caméra GoPro, donne à voir le travail au quotidien dans sa ferme Larrous, à Bergouey-Viellenave (Pyrénées-Atlantiques).

À la fois dense et aérée, distillant les informations avec mesure et déployant une scénographie inventive, l’exposition – enrichie par des propositions hors les murs, dont des visites de fermes et de vignobles – fertilise en beauté la pensée sur la question fondamentale des rapports entre l’être humain et le vivant.

Paysans designers, l’agriculture en mouvement, Musée des arts décoratifs et du design de Bordeaux (33), jusqu’au 8 mai, madd-bordeaux.fr

Culture
Temps de lecture : 5 minutes
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