À la mairie de Paris, la colère des professeurs pour adultes
Anne Hidalgo, candidate à l’élection présidentielle, a promis de doubler le salaire des enseignants si elle était élue en 2022. Mais dans la capitale, elle s’apprête à diminuer celui des professeurs pour adultes embauchés par sa municipalité et rendre plus précaires leurs contrats.
O n a eu tellement de réunions, on a dû faire tout tellement vite que c’est un peu le foutoir partout. » Salomé*, professeure de français langue étrangère (FLE) pour la ville de Paris, est en ébullition. Début octobre, elle a appris, en même temps que les 850 enseignants des Cours pour Adultes de Paris, que les contrats des formateurs allaient être modifiés en profondeur. « La question était à l’ordre du jour de notre réunion d’agenda social, le 8 octobre. Naïvement, j’ai pensé qu’on entrait dans un cycle de discussions. Pas du tout. » La décision avait déjà été prise et sera votée le 16 novembre en Conseil de Paris.
Depuis mi-octobre, donc, les professeurs se sont mobilisés bien qu’ils soient disséminés aux quatre coins de la capitale pour assurer leurs cours. « Nous avons réagi très vite, se félicite Salomé. Nous avons écrit à la presse, ainsi qu’à tous les élus. Sans surprise, seuls les communistes et Mme Simonnet nous ont répondu. »
Salaire en baisse, précarité en hausse
Parmi les 850 enseignants qui assurent des cours pour 30 000 élèves chaque année, 157 sont contractuels, les autres sont vacataires. Un statut justifié dans certains cas, mais utilisé de manière abusive dans d’autres, selon Salomé : « Beaucoup de professeurs sont en réalité de « faux vacataires » : ils ne sont pas fonctionnaires, mais ils assurent un travail pérenne, depuis parfois plus d’une dizaine d’années. »
Employés à temps partiel, les contractuels jonglent entre leur travail pour la mairie de Paris et des emplois annexes. Jusqu’à présent, leurs contrats comprenaient des heures de « face-à-face pédagogique » – autrement dit des heures d’enseignement – et des heures d’« ingénierie pédagogique », durant lesquelles ils se réunissaient pour préparer des sujets d’examens, adapter les programmes, faire évoluer l’offre de formation aux besoins des publics, digitaliser les cours, former les professeurs… Des heures qui, avec le projet de modification des contrats, ne seront plus assurées par les enseignants eux-mêmes, mais par des intervenants extérieurs. Conséquence : une perte salariale pour les professeurs, qui se voient privés d’heures de travail.
La DASCO, direction des affaires scolaires de la mairie de Paris, a tenté de rassurer les enseignants, leur certifiant que ces heures d’ingénierie pédagogique seraient en partie remplacées par des heures de cours. Mais, les sessions se faisant essentiellement le soir et les professeurs ayant d’autres fonctions à assurer ailleurs, difficile d’ajouter des heures d’enseignement fixes. « Les heures d’ingénierie pédagogique, on peut les faire le soir, le week-end… On se débrouille. Pour un cours, il faut être présent à l’heure indiquée, et ce ne sera pas forcément possible », s’agace Salomé, très investie dans l’ingénierie pédagogique. Avec cette modification des contrats, l’enseignante verra son volume horaire – et par la même occasion, son salaire – quasi réduit de moitié.
Sollicitée, la mairie de Paris justifie sa décision en expliquant devoir se conformer à la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Loi qui, dans son deuxième axe, précise avoir pour but de « sécuriser la rémunération des agents contractuels recrutés sur emplois permanents, et prendre en compte, comme pour les fonctionnaires, leur engagement et leurs résultats individuels et collectifs ». La mairie de Paris explique avoir été mandatée, « afin qu’une solution juridiquement solide, mais tenant compte des réalités du service, et ne dégradant pas les conditions de travail des agents soit trouvée ». Elle précise que cinq postes d’ingénieurs pédagogiques et de formation seront créés, et que « le volume horaire correspondant aux heures d’ingénierie pédagogique assurées par les 70 contractuels concernés » sera compensé « intégralement ».
La qualité au rabais
Les heures de coordination, d’adaptation des programmes, d’élaboration des examens, seront donc transférées à des personnes extérieures. Une décision qui manque de pertinence selon Juliette, professeure de FLE depuis plus de dix ans : « Ce n’est pas logique du tout. Il est important d’être en classe, sur le terrain, et de réfléchir à l’innovation dans le même temps. Les deux activités se nourrissent l’une de l’autre. »
Alors que les enseignants sont répartis dans de nombreuses écoles, l’ingénierie pédagogique était le seul moment où ils pouvaient se retrouver et échanger. « C’est ce qui participe de la qualité de nos cours », explique Salomé. « Grâce à cela, nous avons pu mettre en place une offre de cours de français extrêmement pointue, qui n’existe nulle part ailleurs. »
Une offre qui évolue en fonction des élèves, de leur niveau, et qui s’adapte, aussi, à la situation internationale. Cette année, les Afghans et les Égyptiens sont nombreux à suivre les cours de français ; il y a deux ans, c’étaient les Soudanais et les Erythréens ; quelques années auparavant, avec la crise européenne, les Espagnols, les Italiens et les Grecs. « On s’adapte, confirme Salomé. Parce que ces populations n’ont pas été scolarisées de la même manière, qu’elles n’ont pas les mêmes compétences, pas le même niveau d’étude. »
Isabel, femme au foyer de 36 ans, de nationalité angolaise, est arrivée en France en 2011. Depuis un mois, elle prend des cours de français avec la mairie de Paris. « J’apprends énormément de choses. Écrire, être intégrée, ça me plaît beaucoup. Je sens que j’ai vraiment progressé. » Son enseignante tente des approches innovantes pour faire en sorte que les notions rentrent le plus aisément possible. « Comme ils ont vraiment besoin de pratiquer la lecture et l’écriture et de mémoriser les formes orthographiques, j’essaie de trouver plein d’idées différentes pour que ce soit motivant, et que le corps entre en jeu. Aujourd’hui, ils ont travaillé en équipe : ils devaient mémoriser un texte, se passer le feutre comme un relais, et recopier un texte au tableau. » L’enseignante a également créé une conversation WhatsApp, sur laquelle elle envoie des textes et des enregistrements audio, pour aider les élèves dans leur compréhension et leur prononciation du français.
Promesses de campagne
Alors qu’Anne Hidalgo, maire de Paris, a fait de l’augmentation du salaire des enseignants son cheval de bataille en vue de l’élection présidentielle de 2022, la modification des contrats des professeurs embauchés par la municipalité interroge.
« C’est hallucinant, s’insurge Salomé. Bien sûr, j’ai conscience que Mme Hidalgo, personnellement, ne connaît pas nos contrats et nos conditions de travail. Mais nous travaillons quand même pour un service de la ville de Paris. Il serait peut-être temps qu’elle s’occupe des professeurs de sa ville, avant de raconter n’importe quoi dans les médias. »
Sur France Inter, le 13 septembre, la candidate du Parti socialiste réaffirmait sa volonté de vouloir doubler le salaire des enseignants : « Je pense que sur l’éducation comme sur la santé, qui sont deux grands services publics essentiels, il faut mettre le paquet. » Une promesse de campagne qui figure dans son livre, Une femme française, paru le 15 septembre : « Je crois possible, sur la durée d’un quinquennat, de multiplier par deux au moins le traitement de toutes les personnes au contact avec les élèves. Ou, pour commencer, d’aligner a minima le salaire des nouveaux professeurs sur le salaire médian des titulaires d’un bac +5. » Et d’ajouter :« C’est le prix à payer pour transformer l’école, réduire le nombre de décrocheurs et pacifier notre société. » Le prix à payer, mais pas tout de suite, donc, ou du moins, pas à Paris.
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