Ces lignes qui bougent contre les ventes d’armes
Le député Sébastien Nadot, appartenant à l’époque à la majorité macroniste, a ouvert, en 2018, une brèche à l’Assemblée nationale sur les ventes d’armes de la France.
dans l’hebdo N° 1679 Acheter ce numéro
C’est un député du parti présidentiel, sensibilisé à cette problématique par ses échanges avec des représentants d’organisations non gouvernementales qui souhaitaient attirer son attention sur les atrocités commises au Yémen, qui s’est, le tout premier, emparé de la question des ventes d’armes françaises à des régimes criminels.
Au mois d’avril 2018, après avoir vainement interpellé à plusieurs reprises le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, qui lui fait à chaque fois des réponses tardives et dilatoires, Sébastien Nadot – c’est son nom – demande, avec plusieurs autres élu·es, la création d’une commission d’enquête parlementaire « sur le respect des engagements internationaux de la France au regard des autorisations d’exportations d’armes accordées depuis 2015 aux belligérants du conflit au Yémen ». Car, explique-t-il alors dans une tribune publiée par le quotidien Libération : « Nous ne pouvons plus nous accommoder d’être suspects de complicité de crimes de guerre. » Cette commission d’enquête ne verra jamais le jour. Mais le député a ouvert une brèche et contraint la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale à annoncer tout de même, en novembre 2018, la création d’une mission d’information sur les « exportations d’armements » de la France, confiée aux député·es Jacques Maire (LREM) et Michèle Tabarot (LR).
Un mois plus tard, Sébastien Nadot, dont la ténacité incommode le gouvernement, est exclu de son groupe parlementaire, pour avoir voté – telle est du moins la justification officielle de son renvoi – contre le budget 2019, qui ne lui paraissait « pas en mesure d’atteindre les objectifs fixés, particulièrement en ce qui concerne le quotidien d’une majorité de Français et la nécessaire transition écologique ». Fort, peut-être, de sa liberté retrouvée, il brandira dans l’hémicycle, le 19 février 2019, en pleine session parlementaire, et sous les regards médusés de ses collègues, une banderole frappée, en lettres écarlates, de cette terrible sentence : « La France tue au Yémen. » Car, explique-t-il rétrospectivement, c’était alors son ultime et « unique moyen » de se faire entendre. Ulcéré, Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale – qui pour sa part « ne voit pas pourquoi » il « serait interdit » de vendre des armes à l’Arabie saoudite –, lui intimera : « Monsieur Nadot, vous remettez immédiatement cette banderole aux huissiers ! Immédiatement ! » Puis il sanctionnera l’insolent élu, en le privant, pour un mois, d’un quart de son indemnité parlementaire.
En quelques années, des élu·es et des citoyen·nes ont pris conscience du problème.
Le député dresse aujourd’hui un bilan en demi-teinte de quatre années d’un indéfectible engagement : s’il se félicite d’avoir reçu le renfort d’une soixantaine de ses collègues lorsqu’il a demandé la création d’une commission d’enquête – plusieurs lui ont par la suite retiré leur soutien après avoir peut-être subi, suppose-t-il, quelques pressions –, il déplore en revanche que le rapport rédigé en 2020 par Jacques Maire et Michèle Tabarot, qui demandait plus de transparence sur les ventes d’armes françaises, ait été « enterré ». Que ces deux député·es ne l’aient pas plus énergiquement défendu. Et que l’Assemblée ne se soit pas autosaisie de ce dossier.
Sébastien Nadot relève cependant quelques signes véritablement encourageants, comme autant de raisons d’espérer : « Tout de même, des lignes bougent. Des parlementaires s’emparent du sujet, viennent m’en parler. Et, en quelques années, beaucoup de gens ont pris conscience du fait que si les ventes d’armes peuvent éventuellement permettre de protéger des emplois, elles ne “collent” pas du tout avec le respect des droits humains. Plus encore : beaucoup de gens réalisent que, lorsqu’un gouvernement signataire du traité de l’ONU sur le commerce des armes contrevient à ses engagements internationaux, la question qui se pose n’est plus tant celle des exportations de matériels militaires, que celle, plus générale, du respect de la démocratie… »