Comment l’appareil de campagne de Macron se prépare
La Maison commune des soutiens du Président candidat à sa succession sera bientôt dévoilée. Dans cette confédération, qui vise aussi à s’assurer d’une majorité parlementaire, les macroniens de droite sont en force.
Officiellement, la campagne du Président n’est « pas encore lancée ». C’est en tout cas ce qu’affirment les canaux de communication de la Macronie. Mais en coulisses, c’est déjà le branle-bas de combat : les rencontres entre patrons de partis se multiplient, les consignes internes sont données aux députés, les éléments de langage sont déjà préparés, et un accord a été passé dans la soirée du 17 novembre à l’Hôtel de Lassay, résidence du président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand. Le but ? Mettre sur orbite Emmanuel Macron, candidat à sa propre succession, grâce à un appareil de campagne réunissant les partis qui constituent sa majorité. Si « la forme organisationnelle ou financière reste floue », selon un cadre de la majorité, la machine ne demande qu’à être lancée.
Une chose est sûre : l’actuel président ne fera pas la course sous l’étiquette « En marche » comme en 2017. La campagne qu’il s’apprête à mener risque néanmoins de reprendre quelques traits tactiques de celle qu’il avait menée il y a quatre ans. L’opération « dépassement des clivages » reste ainsi d’actualité : un grande « maison commune » abritant tous les partis membres de la majorité présidentielle se construit depuis plusieurs semaines. Elle a commencé à prendre corps avec l’appel de plus de 600 élus pour « un second quinquennat de Macron » publié dimanche dans le JDD. Ce mouvement qui devrait s’appeler « Ensemble, citoyens ! » sera dévoilé dans le courant du mois de décembre.
Clans dispersés
Mais la tâche n’est pas simple. Car il s’agit d’agglomérer en un seul bloc des troupes dispersées. En voici le casting :
À gauche de la Macronie, le parti Territoires de progrès et sa quarantaine de députés, principalement d’ex-élus PS, présidé par le ministre des Comptes publics Olivier Dussopt, et la petite structure d’une vingtaine de députés, créée en avril 2020 et nommée En Commun, autour de la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili.
À droite, les postulants sont plus nombreux. Il y a d’abord le Parti radical et son patron, l’ex- maire de Nancy, Laurent Hénard, qui a annoncé publiquement son soutien à Emmanuel Macron. Vient ensuite le parti Agir, composé de personnalités venues de la droite auto-revendiquée « constructive », et mené par l’actuel ministre délégué au Commerce extérieur, Franck Riester. Le dernier venu s’appelle Horizons, le parti lancé le 9 octobre par l’ex-Premier ministre Edouard Philippe. Mais les deux forces principales de ce rassemblement restent « En Marche, car c’est le parti de notre président, et le Modem, son allié historique », confie un député de la majorité présidentielle.
À la manœuvre, Richard Ferrand. Le président de l’Assemblée nationale serait au cœur du projet et mènerait les discussions entre les différents acteurs de cette future colocation. Qui sera à la tête de ce rassemblement ? C’est la grande inconnue. Longtemps, « un attelage François Bayrou-Richard Ferrand » aurait été proposé, explique un cadre du Modem. Ce n’est plus à l’ordre du jour. Une direction à quatre têtes est envisagée comprenant ces deux responsables politiques mais aussi Edouard Philippe ainsi que Jean Castex. Le premier acte d’une guerre des chefs annoncée.
« Cette fois, une majorité sera plus difficile à avoir »
Objectif de cette grande cohabitation ? Refaire le braquage de 2017 et renouveler le bail de l’actuel locataire de l’Elysée. La méthode : rassembler au-delà des murs de La République en marche. « Notre mission : élargir la majorité, c’est ce que le président nous a demandé », confie Xavier Iacovelli, sénateur des Hauts-de-Seine (élu en 2017 sous l’étiquette PS, il a rejoint LREM en 2019 et est délégué général de Territoires de progrès). Même son de cloche du côté de Roland Lescure, député LREM des Français de l’étranger et porte-parole du parti : « Ce projet découle d’une volonté d’éviter la dissémination. » Le mot d’ordre est passé.
Car l’inquiétude est grande chez certains cadres : si Emmanuel Macron est réélu, « cette fois, une majorité sera plus difficile à avoir » à l’Assemblée lors des législatives les 12 et 19 juin prochains, redoute Sylvain Waserman, député Modem du Bas-Rhin et vice-président de l’Assemblée nationale. En toile de fond, la peur d’une cohabitation comme celles qu’ont vécue François Mitterrand et Jacques Chirac.
En clair, il ne s’agit pas seulement de gagner la présidentielle, mais de construire un soutien assez solide au Parlement. Car en interne, les critiques fusent : « C’est indispensable que ce projet existe et ça vient tard. En l’état, En Marche a du mal à reconnaître les différentes sensibilités. Le candidat est là, mais pas la structure. Alors cette maison commune est nécessaire », juge un député marcheur. « Je sais ce que c’est qu’un parti fort et un parti faible… Les résultats aux municipales, aux régionales et aux départementales en attestent. La direction vous demande ensuite de créer un comité d’élus locaux, c’est impossible. LREM marne… », confie un autre.
Un bannière de campagne, puis une confédération
Sur la forme de ce grand rassemblement, deux options étaient envisagées lors des discussions : une bannière commune rassemblant, autour du président, des personnalités politiques ou une fédération réunissant les différents partis. En interne, on admet assez facilement que « les partis rythment de moins en moins la vie politique et que ce sont les personnalités politiques qui comptent le plus », raconte la députée LREM des Yvelines Aurore Bergé. Mais après de nombreuses rencontres, les protagonistes en ont décidé autrement : ce sera la seconde option.
Tout le monde n’était pas forcément prêt à noyer sa famille politique dans un grand parti démocrate inspiré des États-Unis, comme le suggérait le conseiller politique de Macron, Stéphane Séjourné, début septembre. _« Si c’est une fusion ou une absorption, c’est une fausse idée. Cette maison commune, c’est travailler ensemble dans des salles communes mais chacun aura sa pièce », selon un député de la majorité. « Ma maison à moi, c’est surtout le Modem », revendique le député du Loiret et secrétaire général adjoint du Modem Richard Ramos. « Territoires de progrès survivra après la campagne car nous avons notre propre identité », anticipe Xavier Iacovelli. Pour certains, avoir un groupe à l’Assemblée représente la possibilité de s’opposer à certaines décisions du gouvernement : « Quand on sera un groupe, on pourra s’abstenir dans nos convictions sur des mesures de droite », imagine un député de l’aile gauche. En bref, tous les courants concernés veulent avoir des garanties pour peser.
Le plan de bataille est donc clair. « Il y a deux étapes. D’abord, créer une entité commune pour la campagne présidentielle. Ensuite, construire une confédération ou un intergroupe parlementaire », détaille Yves Blein, député marcheur du Rhône. Une recette reprise par Jacques Maire, député et vice-président du petit parti En Commun, qui affirme que ce projet sera « bien plus qu’une bannière. Alors qu’En Marche était un outil politique au service d’un candidat à la présidentielle, ce projet ressemblera plutôt à une confédération de partis ». En clair, tout faire pour que Macron ait un acte 2 à l’Elysée mais l’idée, « c’est aussi d’organiser la suite », résume Roland Lescure.
Les ambitions d’Édouard Philippe
Et pour la suite il faudra composer avec un allié de poids qui a clairement exprimé des ambitions personnelles pour la présidentielle de 2027 : Édouard Philippe. L’ancien Premier ministre avait quelques réticences à l’idée d’intégrer son tout jeune parti « Horizons » dans ce grand mouvement de campagne. Des inquiétudes désormais évaporées. « Dans le palier de droite de cette colocation se trouvera Horizons. C’est une droite républicaine qui a toute sa place dans ce projet », explique un député de la majorité bien informé. Un allié, oui. Mais surtout un homme qui veut peser dans la future Assemblée nationale à la tête d’un groupe parlementaire. « Le parti Agir va converger avec le parti d’Edouard Philippe pour travailler ensemble et devenir le même groupe. Et au sein de ce pôle de centre-droit, il en est naturellement le leader », détaille un haut gradé de la majorité présidentielle.
À cette étape, il s’agit pour les députés d’afficher leur solidarité. Mais la question des investitures trotte dans la tête de tous. « Nous pouvons imaginer un ordre de grandeur équivalent pour les trois forces de ce projet : En Marche, le Modem et Agir », estime le marcheur Roland Lescure. La hiérarchie est claire. Là où, en 2017, Emmanuel Macron avait misé sur l’électorat de centre-gauche en ralliant des membres du PS, à l’approche de 2022 le sens du vent a changé. Cap à droite.
L’aile gauche oubliée
Dans l’addition, l’aile gauche de la majorité est la première à en pâtir. Si, au sein de celle-ci, on répète volontiers que « pour qu’un avion vole bien, il faut aussi une aile gauche », l’inquiétude règne : « Au moment venu, il y aura des bagarres. Mais c’est aussi ça la politique », prévient le député LREM Yves Blein. « Au soir du premier tour de la présidentielle, si Emmanuel Macron est mal placé, on le sait, nous serons les premiers à faire nos valises », confie un élu Territoires de progrès.
Mais l’heure n’est pas aux velléités de sécession. Le chef a déjà éteint les braises avant que le feu ne prenne : « Le message de Macron est clair : il y a une Maison commune. Ceux qui n’y seront pas, ce sera l’opposition », confie un député de l’aile gauche. Tout le monde est prévenu.
« C’est à nous de prouver qu’on existe », explique-t-il. L’enjeu est donc de taille. « Pour avoir un espace, il faut qu’on travaille plus pour proposer le plus de propositions et réellement influencer ce projet », prévient la députée du Nord Catherine Osson et membre de Territoires de progrès. Mais il s’agit aussi de faire grossir ses rangs. En récupérant notamment les socialistes et écologistes tentés de rejoindre Emmanuel Macron « après l’effondrement d’Hidalgo », prévoit Xavier Iacovelli, persuadé que le soutien de François Rebsamen adressé à Territoires de progrès le 9 octobre ne sera pas le seul ces prochains mois.
À droite, même stratégie. « Il faut être en capacité d’élargir auprès des élus locaux modérés de droite que ne sont pas très à l’aise avec les propos polémiques d’un candidat pas encore déclaré, la dérive de Ciotti qui préfère voter Zemmour au lieu de Macron, ou Gilles Platret [vice-président des Républicains] qui parle d’épuration ethnique sur CNews… », détaille un député de l’aile droite. En clair, la saison 2 de la recomposition politique vient de commencer.
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