COP 26 : l’illusoire mobilisation de la finance

Les engagements des acteurs financiers présentés à Glasgow se révèlent peu contraignants. Et la France ne montre pas l’exemple.

Lucie Pinson  • 10 novembre 2021 abonné·es
COP 26 : l’illusoire mobilisation de la finance
Mark Carney, conseiller spécial auprès de Boris Johnson pour la COP 26 (à droite), aux côtés du ministre kényan des Finances, le 3 novembre à Glasgow.
© Christopher Furlong/GETTY/AFP

Voilà un montant qui en impose : 130 000 milliards de dollars. Et c’était bien l’objectif recherché par Mark Carney, lors de l’annonce des actifs représentés par les acteurs financiers qu’il a réussi à réunir dans la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ), soit l’alliance des acteurs financiers pour l’atteinte de la neutralité carbone. Derrière cet acronyme imprononçable se trouve le groupement le plus tendance de la finance durable, et au passage un haut lieu du greenwashing.

Six alliances rassemblent désormais plus de 450 banques, assureurs, détenteurs et gestionnaires d’actifs, mais aussi des conseillers en investissements et fournisseurs de données. À chaque métier son alliance. Toutes sont fédérées par la GFANZ, pilotée par Mark Carney, l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, devenu le conseiller principal de la COP 26 sur la finance. Ces alliances ne sont intrinsèquement pas des mauvaises idées. La transition soulève de nombreux points d’interrogation et il est donc judicieux de mettre en commun les ressources de chacun pour travailler collectivement à l’établissement des méthodologies d’alignement des portefeuilles. Sauf que, au-delà même de tous les vices de forme à reprocher à la GFANZ, encore faut-il ne pas ignorer l’éléphant au milieu de la pièce : les énergies fossiles.

Pas de mécanisme de sanction

Brèves de COP

Le Brésil à l’honneur : Après le discours poignant de la militante indigène Txai Surui sur l’impact du réchauffement climatique sur sa tribu, le président brésilien Jair Bolsonaro n’a rien trouvé de mieux que de l’accuser d’avoir « attaqué le Brésil », et a incité des nuées de trolls à s’en prendre à elle sur les réseaux sociaux. Un membre de l’imposante délégation brésilienne à Glasgow a même été arrêté par la sécurité pour avoir tenté d’intimider la jeune femme de 24 ans. Jamais décevant, l’outrancier Bolsonaro s’était déjà démarqué en ouverture de la COP 26 par un époustouflant numéro de prestidigitation : surestimer grossièrement les émissions de CO2 de l’année 2005, qui sert de référence aux engagements climatiques, afin d’afficher une promesse de réduction d’émission (- 50 % d’ici à 2030)… Tout en continuant de les augmenter.

Modestie polonaise : La ministre polonaise du Climat et de l’Environnement, Anna Moskwa, a décidé d’inscrire la Pologne dans la catégorie des pays pauvres. Étrange, pour un pays qui figure au 23e rang des plus grosses économies mondiales. Il faut dire que cela lui offre dix ans de plus que les pays classés comme riches pour appliquer l’accord sur la sortie du charbon, dont dépend 80 % de la production électrique nationale.

Les pires délégations : Sans surprise, l’Arabie saoudite figure en bonne place au palmarès des pires élèves de la COP 26. Le royaume des hydrocarbures a largement profité du droit de veto dont disposent les 196 parties pour faire barrage à l’inscription de l’objectif de contenir le réchauffement climatique à 1,5 °C dans le résumé du texte en négociation. Il a aussi fait retirer les mots « droits » et « humains » du texte sur le programme onusien d’éducation au changement climatique (ACE). Se distingue également l’Australie, qui refuse de sortir du charbon et annonce le lancement de dix nouvelles explorations pétrolières offshore. Ou encore la République tchèque, qui est arrivée à Glasgow les mains vides et a profité de cette tribune pour tancer le « green deal » européen.

Greta Thunberg, 4 novembre : « La COP 26 est la plus excluante des COP jamais conçues. Ce n’est plus une conférence sur le climat, c’est le festival du greenwashing des pays du Nord. Deux semaines de business as usual et de blablabla »

400 jets privés ont défilé à l’aéroport de Glasgow, selon le Daily Mail, et, faute de place, nombre d’entre eux ont dû voler à vide pour aller stationner à 50 km de là, sur un second aéroport.

« Le gaz norvégien n’est pas le problème, mais une partie de la solution » Jonas Gahr Støre, Premier ministre de la Norvège, troisième plus grand exportateur de gaz naturel au monde.

Pas une seule règle ne vise à empêcher d’investir dans l’expansion des énergies fossiles. D’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), tenir l’objectif de neutralité carbone requiert de repenser profondément nos modes de production et de consommation énergétiques, afin de ne plus ouvrir de nouveaux projets charbonniers ni de nouveaux champs pétroliers et gaziers au-delà de 2021. Mais les acteurs financiers n’ont pas à montrer patte blanche et à faire valoir une quelconque ambition sur le charbon, le gaz ou le pétrole pour rejoindre une de ces alliances. Cela pourrait très bien expliquer le succès de la GFANZ, qui a annoncé passer de 90 000 milliards de dollars d’actifs représentés à 130 000 milliards. Signer est tellement indolore que même les plus gros soutiens aux énergies fossiles – la banque JPMorgan Chase ou les gestionnaires d’actifs Vanguard et BlackRock – ont rejoint ces alliances.

Même les plus gros soutiens aux énergies fossiles ont rejoint ces alliances.

Seule l’alliance des détenteurs d’actifs, la Net-Zero Asset Owner Alliance (AOA), avait jusqu’à récemment adopté une position claire sur le charbon. À première vue, celle-ci contient tous les mots-clés requis. Exemples : l’« annulation des nouveaux projets charbon » ou encore la « sortie du charbon selon une trajectoire 1,5 °C ». Mais lorsqu’on regarde de plus près les critères précis, ils autorisent toujours 211 centrales à charbon à voir le jour. Et, surtout, la position de l’AOA sur le charbon n’engage absolument pas ses membres. À la mi-octobre 2021, encore 34 sur 58 de ses membres ne restreignaient pas leurs soutiens aux développeurs du secteur du charbon, et seulement 4 d’entre eux avaient une politique robuste sur le charbon. Non seulement rejoindre une de ces alliances n’implique pas de répondre à la première des urgences climatiques, c’est-à-dire d’arrêter d’aggraver la situation en refusant de soutenir l’expansion des énergies fossiles, mais même si un membre ne remplit pas les critères minimaux requis par l’alliance, il ne risque pas de s’en voir exclu.

La GFANZ et son partenaire Race to Zero ont publié, le 1er novembre, un document qui tente de désamorcer certaines des critiques formulées par les ONG, dont celles de Reclaim France. Il ne fallait surtout pas que ces critiques viennent gâcher la grand-messe du monde de la finance organisée à la COP 26. Pour la première fois, ce document laisse entrevoir la volonté de la GFANZ d’exclure les membres si nécessaire, ou encore d’en pousser d’autres à aller plus loin que les critères minimaux requis, notamment sur la question de la sortie progressive des énergies fossiles. Un ajout bienvenu, mais qui ne trouvera pas d’écho dans le communiqué de presse publié par la GFANZ : celui-ci ne mentionne pas une seule fois les termes pétrole, gaz, charbon ou énergies fossiles.

Car l’histoire que Mark Carney entend raconter est celle des acteurs financiers privés, mobilisés en nombre pour apporter à eux seuls les milliers de milliards de dollars de capitaux nécessaires sur les trois prochaines décennies pour financer la transition. Sauf que les 130 000 milliards annoncés par la GFANZ ne seront pas tous alignés sur un objectif de zéro émission nette en 2050. Quelques jours avant, 43 gestionnaires d’actifs membres de la Net Zero Asset Manager Initiative (NZAMI) annonçaient leurs cibles de décarbonation à l’horizon 2030. Mais ces objectifs ne concernent en réalité que 35 % de leurs actifs sous gestion. Traduction : 65 % de leurs actifs ne seront pas alignés sur l’objectif d’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Ainsi, aucune surprise lorsque Axa, chef de file de la Net-Zero Insurance Alliance, et les principales banques françaises à travers leur fédération se contentent d’annoncer des demi-mesures sur le climat, qui les autorisent toujours à soutenir plus de la moitié des nouveaux projets pétro-gaziers aujourd’hui sur la table. L’idée selon laquelle la finance privée est sur le pont, mobilisée pour sauver la planète face à l’urgence climatique, est donc un leurre. Il est plus qu’urgent que les gouvernements se mobilisent pour réguler les flux financiers. Or cela patine aussi du côté de la finance publique.

La France, mauvaise élève

Si, il y a six ans, la France s’imposait comme une référence dans la décarbonation des flux financiers, en étant notamment la première à arrêter ses soutiens publics au charbon, la tendance s’inverse. Elle a brillé par son absence de la plus importante des annonces faites la semaine dernière à Glasgow : l’engagement de vingt pays à ne plus soutenir le développement de nouveaux projets d’énergies fossiles à l’étranger, pétrole et gaz compris. Cet engagement historique a été pris par le Royaume-Uni, les États-Unis ou encore le Canada. S’il manque la Chine, le Japon et la Corée du Sud, tous trois gros pourvoyeurs de financements au pétrole et au gaz, c’est bien l’absence de la France qui détonne.

Certains noteront à juste titre que, si la France a refusé de signer, ce n’est pas le cas de l’Agence française de développement. Les blocages sont donc à chercher du côté des aides à l’export accordées par Bpifrance pour le compte du Trésor. Avec des positions pro-gaz, la France autorise le soutien à de nouveaux projets gaziers jusqu’en 2035, y compris au cœur de l’Arctique. En première ligne des bénéficiaires, se trouvent l’entreprise parapétrolière Technip et la patronne de l’énergie française TotalEnergies. La Banque publique d’investissement les aide à obtenir des contrats pour des projets ultra-risqués, des aberrations tant économiques que climatiques qui, sans ces garanties publiques, ne pourraient sécuriser des financements privés.

Ce n’est malheureusement que le dernier fait d’armes de la position pro-gaz de la France. Il y a dix jours, une note blanche a été envoyée à la Commission européenne afin de plaider pour l’intégration du gaz et du nucléaire dans la taxonomie verte. Tout laisse à penser que la note provient de la France et a été envoyée avec l’assentiment de près d’une dizaine d’États membres, principalement d’Europe de l’Est. De quoi laisser songeurs ceux qui pensent que c’est dans un souci de sauver le climat que la France prône le déploiement d’une flotte nucléaire. Son soutien aussi fervent au gaz, énergie fossile dont le développement est incompatible avec les objectifs climatiques de l’Union européenne et l’impératif de décarbonation de notre production d’électricité à l’horizon 2035, souligne une tout autre réalité. Ajoutés à la démission de la France en matière de régulation des activités des banques, assureurs et investisseurs privés, ces agissements montrent que notre pays, hier hôte de la COP 21, a bel et bien rendu son tablier sur le climat.

Lucie Pinson est fondatrice et directrice de Reclaim Finance, association affiliée aux Amis de la Terre France.

Écologie
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