La bataille toponymique de Robert Ménard, héraut des thèses d’extrême droite
En rebaptisant une rue de sa commune du nom d’un partisan de l’Algérie française, le maire de Béziers réécrit l’histoire et, avec d’autres édiles, diffuse insidieusement un roman nationaliste et réactionnaire.
dans l’hebdo N° 1681 Acheter ce numéro
Les outrances historiques sont devenues notre quotidien, la bataille culturelle par le biais de l’histoire bat son plein. L’extrême droite (parce qu’il faut appeler un chat un chat) mène l’offensive depuis longtemps déjà en mettant le récit identitaire à l’ordre du jour et au centre du débat. Débat : le mot est d’ailleurs mal choisi. En réalité, nous avons affaire à l’avènement d’un catéchisme réactionnaire qui réalise un syncrétisme entre la vieille matrice maurrassienne et les thématiques plus contemporaines telles que le grand remplacement ou le choc des civilisations.
Tout cela n’est pas le fruit du hasard. Les acteurs de cette bataille se sont réparti les rôles et, dans cet écosystème, un homme a revêtu un costume original. Maire d’une commune déclassée et appauvrie, ancien journaliste adepte des « coups », Robert Ménard se trouve à la conjonction des médias et de la politique. Omniprésent sur les ondes, il endosse la posture de l’élu « très à droite » (dédiabolisons-nous par euphémisme), proche du terrain. Dans une dialectique habile entre prise de parole nationale et implantation locale, il utilise sa position pour enraciner ses doctrines. Par le haut, il exalte son œuvre, preuve de la réussite de l’extrême droite au pouvoir ; par le bas, par ses discours, par la toponymie urbaine, la statuaire et l’invitation aux frais de la ville du gotha réactionnaire, il instrumentalise et réécrit l’histoire au service de son idéologie.
Révolution de divan
C’est peu dire que la période n’est pas à l’apologie de la psychanalyse. Concurrencée d’un côté par l’attrait pour des thérapies rapides et peu coûteuses, défendue d’un autre par une flopée de réactionnaires, gardiens de la tradition, hostiles à tous les combats révolutionnaires, antiracistes ou féministes, la psychanalyse peine à faire valoir ses héritages révolutionnaires et ses liens intrinsèques avec tous les combats politiques pour l’émancipation. L’auteur compense cet oubli en rappelant les engagements révolutionnaires de quelques figures de la psychanalyse, de Freud à Jean Oury en passant par Wilhelm Reich. Un clin d’œil subliminal au présent : et si la survie de la psychanalyse repassait par la case révolution ?
M. L. et L. D. C.
Histoire populaire de la psychanalyse, Florent Gabarron-Garcia, La Fabrique, 224 pages, 14 euros.
Cet exemple montre que la pratique initiée par Robert Ménard permet d’atteindre les objectifs politiques et idéologiques de l’extrême droite. Sur le plan tactique, outre une dimension électoraliste consistant à essayer de récupérer les suffrages des nostalgiques de l’Algérie française, ces initiatives permettent de jeter des ponts vers les franges les plus radicales de la droite avec l’intention d’en faire l’union. Sur le plan des idées, il s’agit d’enraciner un roman historique nationaliste et réactionnaire, avec notamment l’idée d’exalter un rôle positif de la colonisation et de faire de la guerre d’Algérie un élément du choc des civilisations qui se perpétue jusqu’à nos jours pour désigner l’ennemi en l’essentialisant.
On pourrait toujours se dire que tout cela n’est qu’un élément secondaire. Après tout, quelques noms de rue, des conférences, des discours, des statues… En réalité, c’est bien à une bataille culturelle et à une violence symbolique que nous sommes confrontés. Les réécritures de l’histoire par des polémistes et autres historiens de garde, et la mise en place de récits à l’échelle locale depuis plusieurs années sont parfaitement cohérentes et procèdent de la même logique : une acculturation méthodique et insidieuse des thèses d’extrême droite comme un poison faisant chemin dans le corps social.
Par Richard Vassakos Professeur d’histoire-géographie et chercheur associé au laboratoire Crises, université Paul-Valéry-Montpellier-III. Auteur de La Croisade de Robert Ménard, Libertalia, 2021.
Compenser l’hégémonie pesante d’une histoire « roman national » dans l’espace public, y compris médiatique ? On s’y emploie ici.
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