« Les Olympiades », de Jacques Audiard : Quartier libre
Les Olympiades est une comédie romantique très réussie de Jacques Audiard, qui filme de jeunes adultes à la recherche d’eux-mêmes.
dans l’hebdo N° 1678 Acheter ce numéro
Les Olympiades sont le nom d’un quartier du treizième arrondissement de Paris, construit dans les années 1970. Une réalisation architecturale inhabituelle pour la capitale, constituée de tours et de barres. Si ce paysage urbain est incontestablement photogénique – on l’a déjà vu plusieurs fois au cinéma –, Jacques Audiard en fait le décor parfait de son film ultra-contemporain focalisé sur une certaine jeunesse, scandé par des lignes verticales et horizontales, des montées et des descentes d’escalier, des plans d’ensemble et des cadres rapprochés, le tout habillé dans un superbe noir et blanc dû au chef opérateur Paul Guilhaume.
Cette donnée n’est pas un détail. On pourrait même lire le film à l’aune de cette sentence : « Dis-moi où tu loges et je te dirai qui tu es. » Ainsi, Émilie est attachée à cet appartement, ce qui dénote chez elle, malgré les apparences d’une vie sexuelle rythmée par des « plans cul », un désir de constance. Camille (Makita Samba) est, lui, « sans domicile fixe ». Il sonne à la porte d’Émilie, répondant à l’annonce de colocation. S’il a l’air sûr de lui, au point d’être parfois désagréable, ce professeur de français en année sabbatique pour préparer l’agrégation n’est pas à l’abri d’être déstabilisé. Nora (Noémie Merlant), venue de province pour reprendre le chemin d’une université parisienne, est heureuse dans son appartement d’étudiante, sinon qu’une tache d’humidité atteste symboliquement d’une faille en elle. Enfin, Amber Sweet (Jehnny Beth), une jeune femme s’adonnant à des chats pornos, est confinée pendant presque tout le film dans un écran d’ordinateur. Quand finalement elle en sort, c’est peu dire qu’elle fait de l’effet à Nora…
Grâce à la fluidité de la mise en scène et à la musique signée Rone, Les Olympiades donne une impression de souplesse, de légèreté, qui tranche avec les deux films précédents du réalisateur, beaucoup plus spectaculaires, aux dispositifs nécessairement plus lourds : le western Les Frères Sisters (2018) et Dheepan (palme d’or à Cannes en 2015). Histoire pour le cinéaste de se ressourcer, de se réinventer. La fraîcheur, la grâce, même, qui traverse le film est très communicative. Pour autant, Audiard ne se sert pas de ses personnages comme d’une fontaine de jouvence. Il offre un regard juste, non idéalisé, sur ces jeunes adultes socialement non précaires sans être de milieux protégés, issus de la diversité, et qui se cherchent. Émilie est diplômée de Sciences Po mais vit de petits boulots ; Camille s’occupe, en dépannage, d’une agence immobilière (encore cette thématique de l’habitat) ; tandis que Nora, rejetée par ses « camarades » d’université, devient collaboratrice de Camille.
Ils n’ont pas encore établi leur place sociale. Ils sont encore moins au clair quant à leur destinée sentimentale. Ils mènent une vie érotique agitée, parfois en ayant recours à des applications de consommation sexuelle, ou au contraire perturbée par un passé difficile. Mais leur jouissance d’un soir les illusionne de moins en moins sur la sensation de vacuité qui l’accompagne. C’est sur ce registre de l’amour sans hasard (ou presque), dénué de moralisme, que le film déploie un charme puissant, un humour toujours bienvenu et un parfum de romantisme à la fois intemporel et bien ancré dans notre époque. Les quatre jeunes comédiens sont absolument parfaits, avec une mention spéciale à Makita Samba et à sa voix soyeuse, aussi convaincant en agrégatif absorbé qu’en amant submergé par son désir.
Certains films marquent leur temps. Parions qu’il en sera ainsi avec le neuvième long métrage de Jacques Audiard, dont il a écrit le scénario avec Léa Mysius et Céline Sciamma. Loin d’être le film mineur que certains ont cru y voir, Les Olympiades vibre au rythme d’une génération inquiète mais en quête de bonheur. Les personnages du film, quant à eux, sont sur la bonne voie.