Pourquoi il faut sauver « Politis »
Notre petite musique est difficilement perceptible dans le tumulte des fake news et des polémiques fabriquées. Il existe un chemin pourtant entre le renoncement aux principes et la confidentialité de l’entre soi.
dans l’hebdo N° 1681 Acheter ce numéro
Un officier de la marine britannique apostropha un jour Surcouf, corsaire de Saint-Malo : « Vous autres Français, vous vous battez pour l’argent, alors que nous nous battons pour l’honneur. » « Chacun se bat pour ce qu’il n’a pas », répliqua Surcouf. Convenons que cette anecdote, vraie ou apocryphe, flatte la gloriole nationale, mais je ne résiste pas à l’envie de la détourner au profit de notre frêle esquif pris dans une nouvelle tempête financière. Politis a sûrement de l’honneur. Il en faut pour s’obstiner à défendre des causes souvent perdues face à la flibuste des puissants de ce monde. Et Politis n’a pas d’argent. Un journal coûte de plus en plus cher : le papier a encore augmenté au mois d’octobre. La vente en kiosque, interrompue – provisoirement je l’espère –, coûte beaucoup plus qu’elle ne rapporte. Les moyens de promotion et les relais médiatiques font cruellement défaut. Je n’irai pas plus loin dans l’inventaire des causes financières de nos malheurs. Elles vous ont été largement exposées la semaine dernière. Les difficultés viennent aussi d’un environnement politique et culturel peu favorable. Politis est né en 1988 d’une volonté de rassemblement des gauches, et d’une intuition, cent fois vérifiée, qu’il n’y aurait pas d’écologie possible sans justice sociale. C’est peu dire que l’appel à l’unité est devenu aujourd’hui une rengaine. Cela passera, mais le moment est difficile. La faute principale à un gouvernement socialiste qui, au cours du précédent quinquennat, a laissé derrière lui une terrible crise de confiance. Quant à l’écologie, elle se heurte à un néolibéralisme dont Emmanuel Macron est un représentant zélé.
Le handicap vient aussi, il faut le dire, des limites que nous nous sommes nous-mêmes fixées. Politis a toujours refusé la facilité des unes tapageuses et des sujets « qui font vendre ». Sa petite musique est difficilement perceptible dans le tumulte des fake news et des polémiques fabriquées sur les réseaux sociaux ou les chaînes dites d’information continue. Il existe un chemin pourtant entre le renoncement aux principes et la confidentialité de l’entre-soi. C’est parce que nous en sommes convaincus que notre appel aux dons s’accompagne de la perspective d’un nouveau projet rédactionnel pour début 2022. D’autres que moi auront l’occasion de vous en dire plus très prochainement. Mais en attendant, il faut franchir le cap. Et redire pour cela ce qu’est _Politis. Et pourquoi nous avons l’outrecuidance de croire ce journal nécessaire, sinon indispensable. Nous nous sommes donné, il y a déjà bien des années, une sorte de devise : Politis est un hebdomadaire « indépendant et engagé ». Deux mots pas si faciles à comprendre. Car notre indépendance n’est pas seulement financière. Celle-ci est assurée par la structure originale que nous avons mise en place en 2007 avec nos lectrices et lecteurs-actionnaires. Elle est aussi l’affirmation d’un droit absolu à la critique. Même à gauche. Surtout à gauche. Ni inféodation ni affiliation. Quant à notre engagement, il est transparent. Il s’organise autour de valeurs non négociables de solidarité en faveur des immigrés, des exclus, de défense des droits humains, en France et ailleurs, des lieux de culture et de la liberté d’expression artistique. Il s’articule surtout à partir d’une exigence de justice sociale. Car tout part de là et tout y ramène. La conflictualité sociale est le moteur des mobilisations, qu’elles soient ordonnées, contre la loi travail ou la réforme des retraites, ou plus ou moins erratiques comme les gilets jaunes ou les actuelles émeutes en Guadeloupe. Sans s’embarquer sur les fausses routes, comme aujourd’hui le mouvement antivax, on s’efforce d’identifier, sous l’écume, les causes profondes des colères populaires. Elles ont toujours à voir avec le malaise social, la baisse du pouvoir d’achat et la destruction des services publics. En ces temps de confusion, où la raison s’égare, cet effort de clarification est plus que jamais nécessaire. Faut-il se résigner à voir Zemmour ou Le Pen récupérer les mécontentements ? Faut-il accepter que des Trump, des Orban, des Poutine ou les « brexiters » britanniques retournent le refus du néolibéralisme contre « l’autre », cet autre éternel, juif hier, musulman aujourd’hui, et transformer la question sociale en obsession xénophobe et sécuritaire ?
Ce qui m’amène à un autre combat – le même en vérité – qui a distingué Politis au cours des dernières années. Le combat pour une laïcité authentique, c’est-à-dire sociale. Le contraire d’un dogme par lequel on adjure les immigrés à renoncer à être eux-mêmes. Combat difficile, qui, à l’heure du terrorisme jihadiste, va parfois contre les apparences. Enfin, je manquerais à l’histoire de notre journal si je ne rappelais pas notre engagement de la première heure en faveur du droit des Palestiniens. Lutte symbole de tous les anticolonialismes. Lutte que nous menons sur un étroit chemin de crête pour refuser les confusions qui conduisent à l’antisémitisme, comme les manipulations qui amalgament antisionisme et antisémitisme. Au fond, l’époque est au mensonge et à son contrecoup presque fatal : la perte de confiance dans la parole publique, qui va parfois jusqu’au complotisme. Dans ce chaos à la fois mental et moral, Politis s’efforce de faire entendre une difficile parole de justice et de raison.
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