Primaire de droite : persuader par l’extrême
Avant le congrès de leur parti, les candidats LR déroulent un programme radical sur lequel plane l’ombre d’Éric Zemmour.
dans l’hebdo N° 1681 Acheter ce numéro
C’est comme s’ils avaient rayé les mentions inutiles. Santé ? Barrée. Éducation ? Raturée. Écologie ? Accessoire… Depuis leur premier débat télévisé, le 8 novembre, les cinq prétendants de droite à l’Élysée ont fait leur choix : ce sera l’immigration, la sécurité et le terrorisme. Valérie Pécresse feint même de s’en plaindre devant Jean-Jacques Bourdin, au lendemain du deuxième concours de surenchères du 14 novembre : « Ceux qui sont monomaniaques sur l’immigration, c’est BFM TV ! » Il fallait oser. La veille, elle dégainait, derrière son pupitre bombardé de néons criards, les mesures radicales infusées par son directeur de campagne, l’ex-fillonniste Patrick Stefanini.
Et ce n’est pas le grand oral de dimanche dernier, sur CNews et Europe 1, qui a inversé la tendance : dans l’antichambre médiatique d’Éric Zemmour, il fallait cogner, cogner encore, cogner toujours. Après deux minutes pendant lesquelles les candidats ont pu -aborder certains thèmes jusqu’alors restés sous silence, place au programme tout « bolloresque » de la chaîne : « la sécurité des Français », « identité, assimilation, intégration : quel sursaut ? », « cancel culture » etcontrôle des dépenses publiques.
Contrairement à la primaire de 2017, où tous les sympathisants de la droite pouvaient participer au vote (moyennant 2 euros par tour et la signature d’une charte des valeurs), seuls les adhérents du parti Les Républicains participeront au scrutin, du 1er au 4 décembre. Aux fidèles encartés de la Rue de Vaugirard, qui apprécient les thématiques ultra–sécuritaires, s’ajoute une salve inédite de 70 000 militants inscrits depuis le 25 septembre. De quoi remplir les caisses : chaque arrivée rapporte entre 15 et 40 euros, dont un tiers atterrit directement dans les finances du siège national. Les fédérations réputées proches des candidats ont toutes gagné en nouvelles recrues, avec une mention spéciale pour celle des Alpes-Maritimes (+ 7 700), fief d’Éric Ciotti.
Une raison de plus à cette course à la droite dure, bien entamée depuis l’irruption de deux éléments perturbateurs : Emmanuel Macron, qui grignote le centre de LR, et, de l’autre côté du prisme, Zemmour, à l’image « positive » pour 40 % des sympathisants de droite début novembre (1). D’où l’avalanche de mesures toujours plus outrancières, tantôt héritées du lepénisme, tantôt retoquées par le Conseil constitutionnel, contraires à de nombreux accords internationaux, à des jugements de la Cour de justice de l’Union européenne, de la Cour européenne des droits de l’homme… Avec cette baguette magique pour contourner les refus de ces institutions : l’utilisation du référendum.
Les réputations des candidats réputés moins extrêmes, comme Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, qui avaient quitté LR respectivement en 2017 et en 2019, ou l’europhile Michel Barnier, se sont vite évaporées. Comme si la médaille allait être décernée à celui ou à celle qui présente les réformes les plus hostiles aux personnes étrangères, précaires et contestataires. Marine Le Pen savoure : « Je n’ai plus de concurrents chez LR, je n’ai que des clones. C’est un concours de celui qui se -rapprochera le plus de mon projet. » Tour d’horizon de cette compétition infernale.
Sécurité
Si les mesures pro-police étaient des appels de phares, les téléspectateurs risqueraient d’enchaîner les crises d’épilepsie. En 2022, que l’ancien négociateur du Brexit ou l’actuelle présidente de la région Île-de-France soit à l’Élysée, il faudra s’attendre à une forte augmentation du nombre de drones en manifestation. Qu’importe si le Conseil constitutionnel a censuré cette mesure dans la loi dite de « sécurité globale », en mai. Et le Conseil d’État avant lui, en décembre 2020. Puisqu’on vous dit qu’après les yeux explosés, les mains arrachées, les pieds brûlés et les cuisses criblées d’impacts, le peuple a besoin d’un « électrochoc de sécurité ». Ces caméras serviront-elles à documenter les violences policières ? Ce n’est pas précisé…
En revanche, Xavier Bertrand préconise, lui, une peine plancher d’au moins un an de prison ferme pour chaque personne qui aurait agressé des forces de l’ordre. Et si la police municipale était amenée à se défendre, elle pourrait compter sur son arme, ainsi que le demande Michel Barnier, déterminé à créer un « ministère de la Sécurité publique ». Les méchants manifestants seront envoyés en prison grâce aux 20 000 places supplémentaires – c’est la proposition du Savoyard – ou bien directement au « Guantanamo à la française » – c’est celle du Niçois. « Aujourd’hui, il n’y a pas une manifestation en France où l’on n’ait pas peur que ça finisse mal ! » s’indigne Philippe Juvin, plus médecin conservateur des Hauts-de-Seine que street-medic entre Bastille et République. Ces mesures ne vont rien arranger.
Justice
L’idée centrale, pour les cinq candidats, repose surtout sur l’enfermement et la manière dont on peut faciliter le chemin vers celui-ci. Création de deux centres éducatifs fermés par département (Michel Barnier) ; placement dans des centres fermés pour majeurs des porteurs de bracelet électronique (Valérie Pécresse)… Du côté de Xavier Bertrand, son programme pour la justice porte deux mesures fortes qui ont peu de chances de passer au Conseil constitutionnel : la majorité pénale à 15 ans et la possibilité pour un procureur de prononcer des amendes pour les délits punis au maximum de cinq ans d’emprisonnement. Quid des institutions européennes ? Éric Ciotti n’en a que faire : il souhaite organiser un référendum pour affirmer que le droit français est supérieur au droit européen. Un clin d’œil simpliste à la Pologne, où cette question a été posée début octobre.
Immigration
Sans surprise, c’est le dossier le plus épais. Et il pourrait se confondre avec la batterie de mesures présentées par le RN ou Éric -Zemmour. Pour limiter le nombre de personnes arrivant sur le sol français, chacun a sa petite idée. Le système de quotas : pour Xavier Bertrand, il s’agit de diviser par trois l’immigration familiale et par deux les visas étudiants, ce qui nécessite un référendum afin de modifier la Constitution. Valérie Pécresse souhaite, elle, utiliser des quotas par métier : « On doit pouvoir dire : on a besoin de tel talent, et si vous l’avez, vous pouvez entrer. » Et si les pays refusent d’accorder des laissez-passer consulaires pour renvoyer les gens dans leurs pays d’origine, ce sera « zéro immigration travail, zéro étudiant, zéro famille », assène-t-elle, dimanche, sur le plateau de CNews.
La dissuasion : si la présidente de la région Île-de-France accorde l’immense privilège pour les salariés immigrés de bénéficier des prestations contributives – pour lesquelles ils cotisent –, en revanche, pour les prestations sociales (APL, RSA, allocations familiales…), il faudra attendre cinq ans. Et un an de plus pour Éric Ciotti, qui souhaite, de son côté, appliquer la « préférence nationale » sur les emplois et les logements sociaux – une proposition frontiste pur jus. Puis la fin du droit du sol : suppression complète pour le questeur réactionnaire ; à Mayotte et en Guyane pour Michel Barnier.
Économie
Sur le plateau de CNews, l’outsider Philippe Juvin, flanqué de deux de ses camarades sur chaque côté, était comme pris en étau lorsqu’il s’est risqué à lancer : « Il ne faut pas affaiblir la fonction publique ! » Voyant les moues dubitatives des autres prétendants à la présidentielle, Sonia Mabrouk le coupe : « Ils ne sont pas d’accord, vos amis ! » Si Michel Barnier reste flou sur ce sujet, l’anesthésiste est le seul à affirmer qu’il ne supprimera pas de postes de fonctionnaires. 200 000 pour Valérie Pécresse, 250 000 pour Éric Ciotti… Il y a un mantra à droite : en finir avec le « délire bureaucratique », comme l’a qualifié le doyen Barnier.
Cette coupe franche – certes moins violente que les 500 000 suppressions proposées par François Fillon en 2017 – se conjugue avec la réforme des retraites, par laquelle on souhaite repousser l’âge de départ à 64 ans, voire 65 ans, d’ici à 2030 pour Xavier Bertrand et Valérie Pécresse.
Ces deux mesures, accompagnées d’une réforme de l’assurance-chômage, servent à la présidente d’Île-de-France à financer son augmentation des salaires de 10 % pour celles et ceux qui gagnent jusqu’à 2,2 fois le Smic. Même tambouille pour Xavier Bertrand avec sa « prime au travail », une prime d’activité individualisée. Sur les revenus, Éric Ciotti supprime l’impôt progressif pour mettre en place une flat tax : 15 % pour tout le monde, sauf pour les foyers gagnant l’équivalent de deux Smic. De quoi satisfaire les plus riches de France !
Et… le reste
Comme elles sont peu nombreuses, autant les réunir : pour les idées liées à l’éducation ou à l’écologie, les candidats Les Républicains ont séché. Uniforme à l’école, rôle plus puissant des directeurs d’établissement, retour du glorieux « récit national », qui n’hésite pas à réécrire l’histoire – alors qu’ils ne se privent pas de reprocher à « l’insupportable » cancel culture de transformer le passé colonial… Voilà pour la première partie.
Et sur l’urgence climatique, ceux qui s’y intéressent versent dans l’originalité : investissements massifs dans le nucléaire, voire « simplification des lois pour éviter l’annulation des grands projets ». La pilule Notre-Dame-des-Landes ou Europacity a eu du mal à passer chez certains, dont Valérie Pécresse. Xavier Bertrand l’assume, il souhaite une « pause sociétale » durant son quinquennat. Comme si ses idées, et celles de ses concurrents, ne formaient pas déjà en soi un « projet de société » réactionnaire.
(1) Baromètre Elabe-Les Échos, du 4 novembre.
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