Susana Baca : Chant magnétique

Ayant elle-même des ancêtres africains transportés de force au Pérou comme esclaves au XVI^e siècle, Susana Baca – aujourd’hui âgée de 77 ans – œuvre sans faiblir à perpétuer le patrimoine musical afro-péruvien. Enseignante de formation, pleinement consciente de l’importance de la transmission, elle a effectué des recherches en profondeur sur ce patrimoine avec son mari (sociologue), Ricardo Pereira. En 1992, après avoir collecté témoignages, musiques et chants à travers le pays durant une dizaine d’années, ils ont publié un livre-somme, Del Fuego y del Agua, et fondé l’Instituto Negrocontinuo, qui a pour mission de sauvegarder la culture afro-péruvienne.

Devenue ministre de la Culture du Pérou – de juillet à décembre 2011 – sous la présidence d’Ollanta Humala, Susana Baca mène un combat politique. Elle reste néanmoins d’abord une artiste, vouée à la musique et à la poésie. S’étant engagée dans cette voie au début des années 1970, elle a acquis une stature internationale en tant que chanteuse à partir du milieu des années 1990 via Luaka Bop, l’indispensable label de David Byrne, sur lequel elle a publié plusieurs albums, à commencer par Susana Baca (1997).

Signe supplémentaire de reconnaissance, son nouvel album paraît chez Real World, label phare dans la sphère des musiques du monde. L’enregistrement s’est déroulé principalement à San Luis de Cañete, petite ville située à environ 130 kilomètres au sud de Lima, où se trouvent l’Instituto Negrocontinuo ainsi que la maison et le studio de Susana Baca – la province de Cañete étant une terre emblématique de la musique afro-péruvienne.

Produit par Michael League (leader du groupe instrumental new-yorkais Snarky Puppy, à la musique très bariolée), avec une retenue tout à fait bienvenue, l’album s’intitule Palabras Urgentes (« Paroles urgentes »). Mêlant reprises et compositions originales, il contient dix chansons à la fois enracinées dans l’histoire et ancrées dans le présent. Y sont notamment évoquées deux grandes figures féminines et métisses de la lutte pour l’indépendance du Pérou : Micaela Bastidas (sur « La Herida oscura », en ouverture) et Juana Azurduy (sur la chanson qui porte son nom).

Vibrant en continu, l’ensemble, aux arrangements délicats, fait superbement résonner la voix si profonde de Susana Baca, dont la puissance expressive défie le temps avec une majesté souveraine.

Palabras Urgentes, Susana Baca, Real World Records.