Vraies et fausses raisons de la crise de la gauche
Thierry Pech, directeur du think tank Terra Nova, a tendance à imputer la crise de la gauche uniquement à des causes sociologiques objectives, comme si ce n’était pas d’abord la conséquence d’une adhésion délibérée de la social-démocratie au néolibéralisme. Ce faisant, il dépolitise.
dans l’hebdo N° 1680 Acheter ce numéro
À cinq mois de l’échéance présidentielle, c’est peu dire que les chances de la gauche de figurer au second tour sont faibles. Mélenchon le plus souvent, Jadot parfois plafonnent à 10 % dans les sondages. Au total, la gauche électorale atteint à peine les 30 %. Je dis « électorale » parce qu’une autre gauche associative, anthropologique, dont les combats écologiques, féministes et sociaux font la matière hebdomadaire de ce journal, continue de se bien porter. Mais pour les candidats de gauche la tâche est ardue. Ils ont devant eux quatre rivaux. Et plus grave encore – et ceci explique cela –, ce sont des thèmes sécuritaires, identitaires, voire xénophobes, qui dominent la campagne médiatique. Osons dire que rien pourtant n’est impossible. La campagne est en devenir, et nous savons depuis 2017 que l’imprévu peut s’inviter jusqu’à la dernière minute. En attendant, la crise de la gauche inspire plusieurs auteurs. Politis a déjà évoqué la thèse très pertinente de Philippe Corcuff du « confusionnisme » idéologique entre droite et gauche. Et voici, dans un tout autre registre, un long texte qui vient de la gauche libérale. Il est signé du directeur du think tank Terra Nova, Thierry Pech. Son principal intérêt réside dans son retour sur une autre note, du même club de réflexion proche de la CFDT, qui continue de faire polémique dix ans après sa parution. Thierry Pech, qui a donné à son exercice un titre de vaudeville « Chacun cherche son peuple » (et l’on pourrait ajouter « … et personne ne le trouve »), célèbre en quelque sorte l’anniversaire de cette note qui conseillait à la gauche d’arrêter de courir après une classe ouvrière qui n’existe plus, et de se décentrer pour conquérir des segments de population improprement qualifiés de minorités : les femmes, les jeunes, les diplômés, les immigrés…
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Politis lance aujourd’hui, et dans l’urgence, un appel au soutien financier. Il s’agit ni plus ni moins de survie. Que ce journal vienne à faire défaut et ce serait un facteur aggravant dans cette crise que l’on évoque ici. _Politis offre cette caractéristique rare d’être à la croisée de tous les chemins de la gauche. C’est ce qu’il faut à tout prix préserver.
Mais qui dit le contraire ? Certes, il n’a pas tort d’affirmer que « les vendeuses, femmes de ménage, hôtesses d’accueil, standardistes, aides-soignantes, assistantes maternelles… sont restées des fantômes du discours politique », mais faut-il ramener les causes de la crise de la gauche à un défaut d’analyse, voire à un évident mépris de classe ? La gauche, celle qui a gouverné de 2012 à 2017, aurait-elle failli seulement en nommant mal les choses ? C’est ici que le discours de Terra Nova pose problème. Thierry Pech se livre à une sociologie fine des classes populaires. Il en souligne les complexités. À raison, il récuse la vision jacobine d’une « entité sociale indistincte ». À raison encore, il conteste l’opposition simpliste entre zones urbaines et périurbaines – Le Pen, comme Macron, recueille la majorité de ses suffrages dans les agglomérations. Mais la crise de la gauche n’est pas la conséquence d’une vision simpliste et passéiste du monde du travail. Cette surabondance de truismes a un inconvénient majeur : elle dépolitise. Nous ne sommes pas seulement avec le PS des quatre dernières décennies en face d’une erreur de jugement. L’invitation à cibler des catégories conduit naturellement à une politique du « chèque ». Celle que pratique Macron quand il faut éteindre un incendie. En forme d’aveu, Pech parle à propos de la note de 2011 d’une « catégorisation à l’américaine » des électeurs, qu’il semble malgré tout assumer. La classe ouvrière est éclatée, certes. Mais raison de plus pour que la réponse de la gauche ne le soit pas. Flatter ce qu’il appelle les « outsiders », celles et ceux qui ne sont pas inclus dans un emploi stable, sans améliorer leur sort par une véritable politique sociale, s’apparente plus à la démagogie qu’à une politique systémique et globale de redistribution des richesses. Au total, le texte de Thierry Pech a tendance à imputer la crise de la gauche uniquement à des causes sociologiques objectives, comme si ce n’était pas d’abord la conséquence d’une adhésion délibérée de la social-démocratie au néolibéralisme.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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