Cyril Dion : « Le rôle des humains est de perpétuer la vie sur Terre »
Le réalisateur Cyril Dion, dont le nouveau film, Animal, sort en salle, raconte ici le chemin parcouru dans sa réflexion sur l’écologie, le militantisme et la démocratie. Rencontre.
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Cyril Dion n’est jamais avare de paroles ni de mots. Entre les dizaines d’interviews et de -projections-débats pour la sortie de son nouveau film, Animal (1), il a parfois l’impression de se répéter. Mais, tant que c’est au service de ses engagements écologistes, il s’y prête volontiers. Et sa volonté de dialoguer est inaltérable. Dans les années 2000, c’était en organisant le congrès israélo-palestinien de Caux et le premier congrès mondial des imams et des rabbins pour la paix avec la fondation Hommes de parole.
Ce militant écologiste depuis quinze ans assume de discuter de la lutte climatique aussi bien avec Marion Cotillard et Mélanie Laurent qu’avec les faucheurs volontaires et la Confédération paysanne, mais aussi avec des youtubeurs prêts à s’engager, les gilets jaunes ou le président de la République. Récemment, il a même essayé de dialoguer avec la présidente de la FNSEA dans les colonnes de L’Obs… Malgré tout, l’image qui lui colle à la peau reste celle du petit colibri qui fait sa part pour éteindre l’incendie, goutte à goutte. Vestige de son rôle de cofondateur du mouvement Colibri aux côtés de Pierre Rabhi. Les écolos les plus radicaux raillent son côté « bisounours », dénoncent sa prétendue adhésion au capitalisme vert et à la politique des petits pas (2). Cyril Dion le sait et continue de répondre, avec sérénité. « Mais ce que je préfère au monde, c’est créer, raconter des histoires, surtout si elles peuvent être utiles aux autres », confie-t-il.
Six ans après le succès de Demain, son nouveau long métrage emmène deux jeunes du mouvement climat sur quatre continents pour explorer et observer le monde vivant qui se meurt. Bella Lack vient de Londres et adule la primatologue Jane Goodall – qu’elle rencontre dans le film ; Vipulan Puvaneswaran vit dans les Yvelines et se rêve climatologue. Ce voyage initiatique les plonge dans la complexité des enjeux écologiques et sociaux autour de cette question cruciale : pourquoi assiste-t-on à la sixième extinction de masse sans (ré)agir ? S’ils s’émerveillent devant des écrins de biodiversité comme le Costa Rica et ses forêts verdoyantes, ou le Kenya et ses animaux sauvages, ils se retrouvent aussi confrontés au cynisme du lobbying au -Parlement européen, au quotidien d’un éleveur de milliers de lapins qui leur explique être coincé par les prêts bancaires et les coopératives.
La conclusion est limpide : l’être humain doit revoir sa place au sein du monde du vivant pour la survie de tous. Des rencontres vitales qui ont sûrement fait mûrir le -militantisme des deux adolescents, symboles de toute une génération. Mais aussi celui de Cyril Dion, conscient d’apprendre autant qu’il leur transmet.
Animal donne l’impression que vous souhaitiez mettre en lumière des entités souvent ignorées, minimisées, voire méprisées : la jeune génération et la biodiversité. Était-ce le projet du film ?
Cyril Dion : Je me sens très proche de cette « génération climat » parce que je suis engagé sur les enjeux écologiques depuis une quinzaine d’années, donc je me suis posé les mêmes questions. Comme eux, j’ai toujours eu le sentiment très fort d’être sur cette planète pour devenir autre chose qu’un producteur consommateur. Dès l’enfance, j’ai eu l’impression d’évoluer dans une sorte de carcan. Même si c’était une richesse d’aller à l’école, il me semblait qu’il n’y avait pas d’espace pour se faire entendre. Ensuite, aller travailler pour « gagner ma vie » m’apparaissait comme un nouvel enfermement.
Nous sommes prisonniers d’un récit fondé sur la croissance et le consumérisme.
J’ai retrouvé tout cela chez cette génération qui se sent dépossédée de son futur, prise dans un flot nous conduisant vers la catastrophe. Les jeunes se rendent bien compte que ce n’est pas suffisant d’aller dans les rues pour faire grève ou manifester, d’être un activiste qui ramasse des tonnes de plastique sur les plages, ou même de se rendre au Parlement européen pour tâcher de faire changer la loi. D’une certaine manière, ils sont et nous sommes prisonniers d’un récit fondé sur la croissance et le consumérisme. Aujourd’hui, le vivant se rappelle à nous et nous alerte en disant que c’est littéralement la survie de l’humanité qui est en jeu. Raconter cette histoire à travers les yeux de deux adolescents confrontés à cette complexité du monde me semblait passionnant.
Qui sont Bella et Vipulan ?
Vipulan vient d’une famille d’origine sri–lankaise, d’un milieu social modeste, contrairement à beaucoup de jeunes activistes. Quand je l’ai rencontré, il vivait dans un petit appartement HLM avec sa maman. Aujourd’hui, il est dans une chambre d’étudiant, car il a eu une bourse. Excellent élève, il a été repéré dans son collège pour aller au lycée Hoche à Versailles, donc plus loin de chez lui. Il a réussi à gérer ses études et sa vie sociale tout en étant activiste quasiment à plein temps au moment des marches pour le climat. Mais il est très urbain et reconnaît n’avoir des relations -qu’assez lointaines avec les animaux. Dans le film, on voit qu’il les touche du bout des doigts, qu’il n’est pas très à l’aise.
À l’inverse, Bella s’intéresse depuis longtemps à la protection des animaux sauvages, ce qui est rare chez les jeunes militants. Quand elle vivait chez sa mère, dans une banlieue de Londres, elle se faisait la malle pour aller marcher dans le parc la nuit, observer les élans. Elle a un côté hyper sauvage, un peu timide, mais en même temps audacieux, ayant envie de repousser les limites. Et toujours avec beaucoup d’humour. Vipulan a une maturité intellectuelle impressionnante, tandis que Bella a plutôt une maturité émotionnelle.
Une étude récente a montré que 45 % des jeunes sondés dans dix pays affirment que l’écoanxiété affecte leur vie quotidienne. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
C’est une des choses qui m’ont donné envie de faire ce film. C’est omniprésent chez Bella et Vipulan, chez leurs amis, chez les jeunes qui viennent voir le film. Certains étaient en larmes, effondrés en me parlant de ces sujets. Ce n’est pas possible d’être aussi terrifié par l’avenir à 16 ans, d’avoir le sentiment qu’il n’y a pas d’avenir possible. J’avais envie que le film leur permette de retrouver un horizon, leur montre des trajectoires -possibles.
Les jeunes ne peuvent pas tout contrôler, mais ils peuvent être utiles au monde.
Je suis moi-même très anxieux de nature et la situation écologique y concourt forcément. La seule parade que j’ai trouvée, c’est de rationaliser, d’accepter que ça m’angoisse et de trouver un sens à ce que je fais au quotidien. J’essaye de dire aux jeunes anxieux qu’ils ne peuvent pas tout contrôler, mais qu’ils peuvent utiliser leur passion, leur énergie, pour créer, agir, être utiles au monde.
Pourquoi le sujet de la biodiversité est-il souvent dans l’ombre de la lutte climatique ?
La question écologique est trop souvent réduite à la question climatique, et cela se transforme actuellement en une sorte de tableau Excel géant, où on compte les tonnes de carbone et où on regarde s’il faut plutôt du nucléaire ou des éoliennes. Pour moi, la question écologique est fondamentalement liée à notre relation au monde vivant. On a trop considéré le vivant comme une somme de ressources qu’on pouvait utiliser à l’infini pour alimenter la chaudière de la croissance économique plutôt que de reconnaître que nous sommes aussi des vivants totalement dépendants de la bonne santé des écosystèmes.
Si tout se désagrège, si les pollinisateurs disparaissent, si les océans s’acidifient, si les forêts sont durablement rasées, si le changement climatique transforme une bonne partie de l’Amazonie en savane, cela aura un impact considérable sur notre qualité de vie et potentiellement sur la survie de notre espèce. Il me semble donc que nous n’avons pas la bonne conversation car, même si celle sur les tonnes de carbone est utile techniquement, elle ne résout pas le problème. Comme le dit souvent Hubert Reeves, c’est comme si on était dans un train qui fonce à 300 km/h sur une montagne. Le but n’est pas de ralentir le train à 200 km/h mais bien de changer de train !
Passer son temps à parler des tonnes de -carbone permet de ralentir le train, de gagner du temps. Mais les vraies questions sont : comment changer de train, de destination ? Comment protéger et perpétuer le vivant sur cette planète ?
Parler de reconnexion avec le vivant ou de réensauvagement me semble être une nouvelle étape dans la conscientisation écologique. Mais le grand public est-il prêt ?
Nous en sommes un peu au même stade qu’avec la question du climat en 2014-2015. C’était un sujet qui commençait à toucher plus de monde, mais qui restait relativement cantonné aux personnes déjà convaincues, engagées. Puis il y a eu la COP 21 en France, des canicules et des étés dramatiques en 2018, 2019, 2020, et cela a créé une grande bascule. Avec Animal, nous voulons essayer de contribuer à créer une nouvelle discussion sur ce sujet émergent qu’est notre rapport au vivant, pour un public plus vaste, comme nous l’avons fait en 2015-2016 avec le film Demain.
Et ainsi participer à créer ces fameux nouveaux récits et imaginaires : quels sont ceux qui vous portent, qui vous ont peut-être permis de changer de focale ?
Dernièrement, l’économiste Éloi Laurent ou le philosophe et pisteur de loups Baptiste Morizot m’ont pas mal secoué par leur capacité à projeter de nouveaux récits. Éloi Laurent nous permet de sortir du match stérile entre croissance et décroissance en changeant d’indicateur de référence : pour lui, le PIB n’est pas une finalité en soi, et le bien-être humain, les liens sociaux et la santé devraient être nos repères, car indissociables de la santé des écosystèmes. Quant à Baptiste Morizot, il m’a permis de trouver des pistes de réponse à la grande question philosophique : à quoi sert-on, nous, les humains ? La conjonction de leurs pensées m’a conduit à la conclusion que la base d’un récit enthousiasmant et puissant pour l’humanité au XXIe siècle consiste à se dire que le rôle des humains est de perpétuer la vie sur cette planète.
La Convention citoyenne pour le climat a montré que la démocratie délibérative fonctionne.
À la ferme en permaculture du Bec-Hellouin, dans l’Eure, ils ont réussi à élaborer une activité répondant au besoin de se nourrir tout en enrichissant le vivant : il y a davantage d’oiseaux, de vers de terre, de pollinisateurs qu’avant l’existence de la ferme. On pourrait alors imaginer transformer des villes, faire de l’industrie ou de l’agriculture avec la perspective que nos activités humaines enrichissent le vivant dans toutes ses dimensions, y compris en chacun de nous, pour répondre à nos besoins fondamentaux et nous épanouir dans le cadre d’une communauté plus solidaire et plus soutenable. C’est quand même plus excitant comme récit du futur que la caricature qu’on veut bien faire de l’écologie dans le récit actuel.
Toutes les classes sociales peuvent-elles se reconnaître dans ce récit, notamment dans le fait de mettre l’écologie en priorité absolue ?
Les chiffres montrent clairement que 50 % des émissions de gaz à effet de serre viennent des 10 % les plus riches. La priorité est d’expliquer à ceux qui gagnent 5 000 euros par mois que leur empreinte écologique est dramatique à cause de leur mode de vie, de leurs voyages. Les plus pauvres n’ont pas besoin d’être convertis à l’écologie ni de recevoir de leçons de morale, ils ont besoin qu’on les aide : en rénovant et isolant leurs logements, en leur permettant de se déplacer autrement qu’en voiture s’ils vivent en zone périurbaine, en proposant des repas végétariens et de qualité dans les cantines scolaires et d’entreprise…
Vous avez dit ou écrit : « Pour moi, les écologistes doivent gagner une bataille de l’imaginaire en même temps qu’une bataille politique. » Vous en avez mené une avec la Convention citoyenne pour le climat (CCC). Aviez-vous conscience de l’entourloupe politique en devenir ?
Je suis souvent assez vexé que les gens puissent croire que je ne savais pas comment fonctionne le système politique [rires]. Il faut revenir sur l’origine de la CCC, rappeler qu’elle est née d’un rapport de force. Dès fin novembre-début décembre 2018, le dialogue s’est ouvert entre les marches pour le climat, les grévistes pour le climat et les gilets jaunes. J’ai appelé à des marches communes pour pointer du doigt le fait que leurs raisons de se mobiliser avaient une racine commune : ce modèle économique qui considère que les gens et les écosystèmes sont de simples externalités dans un tableau Excel. Tout cela a commencé à construire un rapport de force, et les gilets jaunes ont quand même bien déstabilisé le pouvoir.
Je ne cherche pas à faire des films à la pointe de la radicalité, mais je revendique qu’ils soient exigeants sur le fond.
Dans le même temps, une brèche s’est ouverte avec l’Affaire du siècle, qui a attaqué l’État en justice pour inaction climatique. Après mon passage sur France Inter avec Marion Cotillard pour en parler, nous avons eu l’occasion de rencontrer Emmanuel Macron, mais avons demandé que cela reste privé afin d’éviter toute instrumentalisation politique. Je me suis évidemment demandé à quoi cela pouvait servir, mais je voulais rencontrer l’animal politique. On avait construit toute une argumentation pour lui faire comprendre la gravité de la situation, et que nous n’étions pas dupes du fait qu’il ne ferait jamais le nécessaire pour arrêter le changement climatique, pour deux raisons : cela irait à l’encontre d’intérêts économiques qui l’ont porté au pouvoir et ce serait très impopulaire d’un point de vue électoral (notamment les mesures sur la consommation de viande, sur la voiture, sur l’avion). Nous lui avons alors soumis cette idée venant du collectif Gilets citoyens de remettre ces sujets entre les mains des Français via une assemblée citoyenne tirée au sort. Lui-même n’était pas dupe, il avait bien compris l’enjeu stratégique et nous a dit être intéressé car cela permettait de « déporter la contrainte ». En clair, la contrainte serait imposée aux gens par d’autres citoyens.
On comprend que tout le monde s’est servi de tout le monde, mais cela a tourné au bras de fer au moment de la mise en œuvre des propositions et de la promesse du Président sur le « sans filtre »…
La raison pour laquelle j’ai fait autant de bruit autour de cette histoire du « sans filtre » n’était pas liée à ma déception mais parce que c’était notre seul moyen de pression. À partir du moment où c’est une initiative politique sans existence institutionnelle, sans règles du jeu fixes, et que c’est le président de la République qui décide en dernier ressort, notre seul levier est la promesse faite publiquement par ce dernier. Et on s’est bien ingénié à la lui faire répéter plusieurs fois – ce qu’il a fait à trois reprises – et à dire sur la place publique qu’il ne la respectait pas. Les médias s’en sont emparés, 525 000 personnes ont signé la pétition, la pression s’est intensifiée. Contrairement à ce que beaucoup pensent, c’était mûrement réfléchi de notre côté.
Cette séquence a-t-elle eu un effet coup de massue ou renforcé votre opinion sur la nécessaire mutation démocratique ?
Avec les autres garants de la CCC ou les membres du comité de gouvernance (Mathilde Imer, Laurence Tubiana, Thierry Pech, etc.), nous avons tout fait pour montrer que la démocratie délibérative fonctionne. Même si tout est perfectible, je considère que nous avons réussi. Des gens tirés au sort, venant de toutes les réalités sociales en France, et mis en responsabilité, ont été capables de mettre au point 149 propositions pensées, viables et plus ambitieuses que tout ce que les gouvernements ont pu proposer ces trente dernières années sur l’écologie et le social. Mais la suite (les renoncements de Macron, l’intervention des lobbys) a renforcé mon sentiment profond de vivre dans une démocratie inachevée, où l’essentiel des décisions publiques sont orientées par l’élite économique. Un énorme sujet qui mérite d’être regardé en face et impliquerait de transformer nos institutions. Je n’en suis pas sorti déçu mais éreinté. Heureusement qu’il y a des résultats (la loi climat, la condamnation de l’État en justice…). On a enclenché des choses, mais cela reste minime alors que nous avons déployé beaucoup d’énergie. Même si on est dans une stratégie intelligente, le combat reste très inégal en termes de moyens, de capacité à inonder les médias, à avoir de l’influence sur les décisions publiques, et c’est ce qui finit par avoir la peau des militants…
Votre médiatisation, notamment après le succès du film Demain, a permis de réveiller des consciences écolos mais a aussi fait éclore des critiques envers vous (2) : écolo centriste, naïf, défenseur des petits pas individuels… Des critiques émanant notamment d’une frange plus radicale de militants de gauche et écolos…
Me critiquer n’est pas un mal en soi. Je prends ça comme un point positif, car cela veut dire que ces personnes ont besoin de se situer par rapport à ce que je dis. Au moment de la sortie de Demain, en effet, beaucoup de gens très à gauche se moquaient du film en disant que ce n’étaient que de gentilles petites solutions individuelles. J’en ai beaucoup discuté avec le philosophe Patrick Viveret, qui en avait une vision différente. Pour lui, sous des dehors policés, très pop et joyeux, le film parlait de changer radicalement le système monétaire en créant nos propres monnaies locales, de faire la révolution démocratique, de changer notre système d’éducation, d’aller vers une forme d’autonomie alimentaire locale… Je ne crois pas que ce soient de petites solutions individuelles, comme le petit colibri qui prend son vélo. Aux militants hyper radicaux, je répondais que mon film n’était pas fait pour eux, qu’ils n’étaient pas la cible, qu’ils pouvaient lire David Graeber ou Baptiste Morizot pour aller plus loin. Je ne cherche pas à faire des films à la pointe de la radicalité sur la forme, mais je revendique que mes films soient exigeants sur le fond, sur les propositions de mutations profondes de la société. Une sorte de caricature s’est faite de moi au fur et à mesure des années, peut-être à cause de mon engagement chez les Colibris, dont le slogan est « faire sa part », ou bien parce que j’ai cherché à démocratiser ces sujets pour toucher le plus largement possible.
Est-il impossible de réconcilier les écolos modérés et les radicaux, de sortir des caricatures même face à l’urgence climatique ?
Je pense que cette société a besoin de construire des archétypes afin que chacun puisse s’appuyer dessus pour se définir soi-même. Certains radicaux étaient contents de me marcher dessus pour trouver le moyen de se définir comme étant à ma gauche la plus radicale. Par exemple, Extinction Rebellion (XR) France a mis longtemps à nous soutenir au moment de la CCC, alors que les militants anglais de XR que j’ai rencontrés me disaient qu’obtenir une assemblée citoyenne par tirage au sort était une de leur demande. Une partie des mouvements et ONG ainsi que des militants de gauche ont commencé à soutenir la CCC quand l’affrontement avec Emmanuel Macron s’est enclenché. J’ai l’impression qu’en France certains militants préfèrent s’entre-tuer pour deux lignes dans le manifeste de leur groupuscule, avoir raison dans leur coin plutôt que de se rassembler ou d’essayer d’entraîner des milliers de gens dans leur combat.
Depuis la création du mouvement des Colibris, êtes-vous devenu plus radical ? Est-ce que désobéir était dans votre répertoire d’actions dès le début ?
Le mouvement Colibris aussi a été caricaturé, alors que changer de paradigme est présent dans son ADN – et celui de Pierre Rabhi – dès le début. Il y avait déjà ce côté transgressif de refuser de participer à la société consumériste, en créant des espaces de cohérence, en prônant le retour à la terre. Et sur les modes d’action, nous avons par exemple toujours soutenu les faucheurs volontaires, acteurs de la désobéissance civile. J’ai beaucoup évolué ces dernières années, je me suis beaucoup politisé, j’ai creusé des sujets qui n’étaient pas forcément présents dans mon milieu culturel d’origine. Mes parents étaient de gauche, mais j’ai grandi dans un milieu bourgeois, de la droite catho. Aujourd’hui j’intègre de nouvelles dimensions de pensée, comme ce que dit Andreas Malm sur le sabotage. Ou son analyse sur le mouvement climat, qui a un peu réécrit l’histoire en disant que toutes les grandes victoires démocratiques ont été obtenues uniquement par des moyens non-violents. En réalité, il y a eu des rapports de force très musclés chez les suffragettes, dans le mouvement contre la ségrégation, pour la fin de l’esclavage, pour la fin de la monarchie. Ces rapports de force sont inévitables face au pouvoir.
Je pense que j’ai évolué sur l’appréciation et la façon dont je perçois ces sujets-là, mais, comme la plupart des gens, je reste réticent aux méthodes recourant à la violence. Je me sers de tout cela et des retours des spectateurs pour continuer à créer, à faire des films qui peuvent être utiles aux gens. Je crois que la fonction d’un film est de nous pousser à nous poser des questions sur nous, sur la complexité du monde, plutôt qu’à nous endoctriner.
(1) Animal, Cyril Dion, 2 h.
(2) Pour avoir un aperçu de ces critiques, lire le texte de Maxime Chédin, « La ZAD et le colibri : deux écologies irréconciliables ? », revue Terrestres, novembre 2018. Et la tribune de Nicolas Casaux, membre du mouvement Deep Green Resistance, « Les énergies “renouvelables” ne font que continuer la civilisation industrielle », Reporterre, février 2017.
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