De La Soul : L’art du sampling
Vincent Brunner retrace l’histoire du groupe de rap De La Soul et analyse les relations tumultueuses entre la création et l’industrie.
dans l’hebdo N° 1684-1686 Acheter ce numéro
C’est l’histoire d’un groupe dont le premier album, 3 Feet High and Rising, sorti en 1989, a été inscrit par la bibliothèque du Congrès au patrimoine des États-Unis. C’est l’histoire de Kevin Mercer, David Jolicoeur et Vincent Mason, trois camarades de lycée qui, dans la presqu’île de Long Island, ont révolutionné l’histoire du hip-hop en complexifiant sa pratique du sampling – échantillonnage et repiquage inhérent au rap – et en refusant d’intégrer les chapelles naissantes de ce genre musical, rap conscient, gangsta, côte Est ou côte Ouest. C’est l’histoire d’un groupe qui fit danser des millions d’adolescents au son de « Ring Ring Ring (Ha Ha Hey) », un hymne générationnel. C’est l’histoire, enfin, d’un groupe star, dont les meilleurs morceaux sont aujourd’hui introuvables sur les plateformes de streaming.
« On voulait que le hip-hop fasse partie des genres qui ne disparaissent pas », s’exclame David Jolicoeur en ouverture du livre de Vincent Brunner. On voulait que De La Soul reste et que sa musique soit connue des générations futures. Et pourtant, De La Soul n’est plus, disparu dans les méandres de YouTube, et ce pour des questions de droits.
Ce paradoxe est le point de départ de De La Soul, aussi mort que vivant. Ambitieux, l’ouvrage multiplie les lignes narratives. Le texte est d’abord une exploration de la trajectoire du groupe, dans laquelle on suit les rappeurs fouillant les collections de disques de leurs parents, au lycée, en studio, puis dans leurs démêlés avec la justice après s’être trouvés accusés d’avoir utilisé un morceau du groupe The Turtles sans lui en avoir demandé l’autorisation.
Ensuite, le texte analyse l’impact des deux premiers albums de De La Soul sur les mondes du rap, outre-Atlantique et en Europe. On découvre des citations de fans de la première heure qui racontent leurs émois lorsqu’ils ont découvert des morceaux comme « Me Myself and I »ou « Potholes in My Lawn ». Enfin, et c’est sur ce point qu’il est le plus réussi, le livre est une réflexion sur l’art du sampling, art dans lequel De La Soul excellait, repiquant et sublimant aussi bien les lignes de batterie de James Brown et de Parliament-Funkadelic que des riffs de Johnny Cash ou Steely Dan.
Vincent Brunner détaille le catalogue des samples empruntés, revient sur leur association pour créer un son profondément original, marque de fabrique du groupe et reflet de sa culture musicale. Manifeste pour la défense du sample comme une forme d’art légitime, le texte fait appel à des entretiens, notamment avec l’historien David Christoffel, qui voit des traces de cette pratique chez Bach et Camille Saint-Saëns.
Au fil du récit, les analyses de Brunner sur le sampling débordent, laissant parfois de côté le groupe sur lequel il avait initialement décidé d’écrire. On peut le regretter tant on aimerait en apprendre plus sur les derniers albums de De La Soul. Toutefois, dans ses analyses, l’ouvrage dresse une histoire du hip-hop en deux époques qui donne à réfléchir. À la liberté créatrice des premiers temps, à l’ère du sample sauvage et inventif, succéderait le temps des avocats et des guerres entre maisons de disques et ayants droit. Le hip-hop peut-il survivre quand sa chair se trouve ainsi menacée ? Et comment se positionner dans un débat qui oppose création musicale faite d’emprunts et défense de la propriété intellectuelle ?
De La Soul, aussi mort que vivant Vincent Brunner, Le Castor Astral, 231 pages, 14 euros.
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