Pour une dose de démocratie

À la veille de l’adoption par le gouvernement du projet de loi sur le passe vaccinal, l’avocat Vincent Brengarth invite à repenser la pertinence d’une politique par la contrainte décidée seule par le pouvoir exécutif devenu pouvoir scientifique.

Vincent Brengarth  • 26 décembre 2021
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Pour une dose de démocratie
© Photo : GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Il est peu dire que la Covid-19 tétanise jusque dans les rangs de ceux qui devraient incarner une défense plus sourcilleuse de la démocratie. Ces réticences s’expliquent en partie par le fait que toute critique voire réprobation qui porterait sur la contrainte vaccinale est mécaniquement assimilée à une expression « antivax » et donc démonisée. Cette assimilation, entretenue par la parole exécutive, encourage une forme d’autocensure et enferme dans des catégories qui interdisent toute pensée nuancée. Elle fait rimer commencement de réflexion avec irresponsabilité. On pourrait la croire propre à cette crise mais elle est plus généralement révélatrice de procédés tendant à disqualifier la parole par le refus de la nuance puis la catégorisation.

Vincent Brengarth est avocat au barreau de Paris. Il vient de publier avec Jérôme Hourdeaux, _Revendiquons le droit à la désobéissance (Ed. Fayard).

Il y a plusieurs années déjà, les voix qui s’élevaient contres les dérives de l’état d’urgence antiterroriste étaient qualifiées d’« islamogauchistes », voire traitées comme des complices intellectuels. Ce biais cognitif fait de la défense des droits fondamentaux une supposée entrave à l’efficacité gouvernementale et à la sécurité, comme si la réserve pouvait empêcher l’action. Le débat sur la proportionnalité des mesures et leurs légalités s’efface devant le prétexte de l’efficacité dont l’exécutif aurait le monopole, alors même que les deux sont étroitement liés. De manière collatérale, cette ritournelle oblige les défenseurs des droits humains à choisir leurs combats, en prenant en considération le risque réputationnel, ce qui ne devrait pas avoir lieu d’être.

Par un effet encore plus sournois, plus la parole de l’exécutif serait fragilisée par la persistance de la menace, plus la confiance envers ce même pouvoir a besoin d’être renforcée, pour ne pas menacer l’adhésion à une politique sanitaire que seul le Gouvernement définit pour l’heure sans contre-pouvoir. Or la théorie voudrait que toute crise soit pensée avec hauteur et la pratique a démontré les erreurs successives commises par l’exécutif.

Le lancement de la campagne de vaccination contre le Covid-19 pour les enfants de 5 à 11 ans, le passe sanitaire et futur passe vaccinal, la succession des « rappels »… sont autant d’évolutions qui commandent au minimum une prise de recul, parfaitement incompatible avec l’exercice d’une politique par la brutalité et la verticalité. La fermeté des mesures tranche avec l’incertitude scientifique totale et mondiale qui entoure le virus, ses mutations, sa transmission… L’état d’exception ne se dessine plus simplement, il s’enracine et se développe. Alors que le porte-parole du Gouvernement a annoncé « Nous visons désormais une adoption définitive du passe vaccinal dès la première quinzaine du mois de janvier », il est impératif de ne pas succomber à la précipitation, surtout qu’elle profite à la concentration des pouvoirs et au déséquilibre institutionnel. D’autres modèles viables existent.

Le 16 mars 2020, le président de la République puis le ministre de l’Intérieur avaient annoncé des mesures de confinement « vu les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19 ». La loi d’urgence du 23 mars 2020 a introduit, dans le Code de la santé publique, la possibilité d’instaurer un état d’urgence sanitaire, en octroyant notamment des pouvoirs élargis au Premier ministre, dont la possibilité d’édicter des mesures limitant la liberté d’aller et venir. Ces dispositions ont été prolongées. Puis, la loi du 10 novembre 2021 portant diverses dispositions de vigilance sanitaire a notamment prolongé jusqu’au 31 juillet 2022 le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire ainsi que la possibilité de recourir au passe sanitaire…

Cet amoncèlement de dispositions parfaitement dérogatoires au droit commun contraste, et c’est un fait, avec la nouvelle dégradation de la situation sanitaire en France, qui oblige par conséquent à repenser la pertinence d’une politique par la contrainte décidée seule par le pouvoir exécutif devenu pouvoir scientifique.

Cette exigence est renforcée par le fait qu’on peut craindre que l’Etat refusera d’admettre ses erreurs, partant sa responsabilité, et qu’il pourrait par voie de conséquence persister dans une même direction, au prétexte que c’est celle initialement prise. Le gouvernement pourra toujours se ranger derrière une incertitude de l’état de la science d’alors qui fonde pourtant aujourd’hui des décisions majeures. Des arbitrages ont été faits et ils ne changeront pas, sans sursaut citoyen. Au surplus, quel crédit pouvons-nous plus généralement attacher à la parole exécutive alors que s’ouvre une période d’élections propices aux présents en tout genre ?

La crise sanitaire nous plonge individuellement et collectivement dans une situation parfaitement inédite. L’effet de lassitude est très largement partagé. Néanmoins, cet éreintement, sans générer une opposition qui serait forcenée mais surtout irrationnelle, ne doit pas nous priver du temps du débat, si essentiel à la démocratie. Osons questionner la proportionnalité des outils mis en œuvre, en plus des intérêts en présence. Sortons de la logique du bouc émissaire qui voudrait que les personnes non-vaccinées soient à l’origine de la persistance de la menace. Les données scientifiques vont d’ailleurs de plus en plus dans ce sens. Au scientisme exécutif et contraint substituons une forme de débat public.

Il est impératif de se réapproprier les outils du débat, en même temps qu’une capacité de réflexion en dépit de l’urgence dans laquelle la crise sanitaire nous maintient. Ne confondons pas vitesse et précipitation. D’expérience, cela peut couter cher.

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Tribunes

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