TF1-M6 : Un projet de fusion préoccupant
Le mariage des deux chaînes privées, au prétexte de lutter contre les plateformes numériques mondiales, rendrait le groupe Bouygues ultradominant dans la pub et l’information télé.
dans l’hebdo N° 1684-1686 Acheter ce numéro
La fusion-concentration de TF1 et M6 est en bonne voie. Les fiançailles entre les deux premiers groupes de télévision privés ont été annoncées en mai dernier ; les objectifs et modalités du mariage détaillés dans un communiqué fourni. S’il reste encore quelques détails à régler pour obtenir le double feu vert du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de l’Autorité de la concurrence, rien ne semble entraver la marche vers cette union, qui pourrait être effective fin 2022, plusieurs fées lui ayant déjà accordé leur bénédiction.
Fin août sur France info, alors que divers journaux avaient déjà fait état de l’approbation officieuse de l’Élysée, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, que ce projet de fusion « n’inquiète pas », déclarait : « Nous avons besoin de groupes forts dans l’audiovisuel privé qui assurent des programmes gratuits de qualité. » En octobre, lors du salon professionnel Médias en Seine, Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, assurait voir « d’un bon œil que Gilles [Pélisson, PDG de TF1] et Nicolas [de Tavernost, président du directoire de M6] se renforcent ».
Entre-temps, le 7 septembre, avant même que le CSA n’entame les auditions censées nourrir l’avis qu’il doit rendre sur ce projet de fusion début 2022, son président, Roch-Olivier Maistre, en infraction avec la charte de déontologie de son instance de régulation, qui interdit à ses membres de s’exprimer publiquement sur les dossiers en cours d’examen, estimait « naturel » et « compréhensible » que les acteurs du paysage audiovisuel français se « mettent en ordre de marche » pour « développer leur capacité d’investissement et une sorte de souveraineté culturelle ».
Le groupe fusionné viserait à « distribuer 90 % de son free cash flow en dividendes ».
C’est là le principal argument avancé par les deux groupes pour justifier leur mariage : « Créer un groupe de médias français d’envergure [pour] relever les défis résultant de l’accélération de la concurrence des plateformes numériques mondiales. » Comprendre Google (YouTube), Amazon, Netflix ou Disney. Mais le communiqué de présentation du futur groupe, dont Bouygues serait l’actionnaire de contrôle exclusif et agirait en partenariat exclusif avec RTL Group, la présidence directrice générale étant assurée par Nicolas de Tavernost, souligne aussi l’importante « création de valeur pour [les] actionnaires des deux groupes grâce à des synergies annuelles » et indique que « le groupe fusionné viserait à distribuer 90 % de son free cash flow en dividendes ». L’opération est avant tout financière.
Car TF1 et M6, ensemble, pèseraient 75 % du marché de la publicité télévisée, et plus encore sur les marchés « premium ». Bien assez pour que certains prédisent « une augmentation mécanique du prix des spots de 20 à 30 % », dont une victime collatérale serait la presse, les annonceurs n’ayant pas un budget aussi extensible.
Le projet aura sur l’information une répercussion plus directe par la domination que le nouveau groupe exercera dans ce domaine. Entre LCI, TF1 et M6, il posséderait, selon le calcul d’un diffuseur, 62 % « des tranches d’info de la mi-journée, contre 34 % pour France Télévisions ». Le soir, cette part atteindrait 52 %. Sans compter RTL, également dans la corbeille de la mariée. Comment ne pas s’en inquiéter ? « La télévision hertzienne demeure le seul mode d’accès à la télévision pour un quart des foyers », indiquait récemment Roch-Olivier Maistre, le président du CSA, lors de son audition devant la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias. « Et cette télé-vision joue un rôle prescripteur majeur notamment en matière d’information », ajoutait-il en admettant qu’« en matière politique [ce] rôle est considérable ».
Les quatre chaînes que TF1 et M6 envisagent de lâcher (TFX, TF1 Séries, Gulli et 6ter) pour obtenir l’aval du CSA, la loi n’autorisant pas la détention de plus de sept chaînes par un même groupe, laissent le problème entier, TF1 et M6 conservant tous leurs canaux d’information. Ils promettent d’ailleurs de « continuer à garantir l’indépendance, la fiabilité et la qualité de l’information […] dans le respect du pluralisme ». On y croirait si LCI, la chaîne dite d’information du groupe TF1, n’était pas réputée pour ses débats déséquilibrés.
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